Le douzième homme : six années passées dans les tribunes du Vélodrome
Alle Fotos: Lionel Briot

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Le douzième homme : six années passées dans les tribunes du Vélodrome

Entre 1996 et 2002, appareil photo en bandoulière, Lionel Briot est resté au plus près des supporters de l'OM. De cette aventure est né un ouvrage que le photographe nous présente.

Le photographe Lionel Briot est Marseillais et lorsqu'il était jeune, il faisait comme bon nombre de minots de la cité phocéenne : il allait au stade Vélodrome. Mais petit à petit, au fil du temps et en grandissant, les choses ont changé et son« regard se détourne souvent du match sur la pelouse pour se porter vers les tribunes remplies de supporters ». Ces inconditionnels de l'OM, dévoués, parfois extrêmes, sont une source d'admiration, de curiosité et d'inspiration. Dès lors, Lionel Briot a eu l'envie d'aller au plus près des fans pour les photographier et, ainsi, rendre compte de leur engouement sans faille pour l'OM, de leurs attitudes et de leurs us et coutumes dans les tribunes du Vélodrome. Après six années passées à shooter l'OM côté tribunes et regarder les matches à travers les yeux des supporters, Lionel Briot a compilé plusieurs de ses photos dans Vélodrome, le douzième homme, un ouvrage photographique porté par Le garage photographie ou co-édité par Le garage photographie et Arnaud Bizalion Editeu.

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VICE Sports : Dans votre jeunesse, vous fréquentiez les tribunes. Qu'est-ce qui vous a poussé à passer de spectateur à photographe qui témoigne de la vie dans les gradins ?

Lionel Briot : Je n'aime pas trop le mot de spectateur. En choisissant de photographier les tribunes du Vélodrome, je rentre dans une action et je ne regarde pas un spectacle. Je fais mon entrée dans une scène et je me mêle à ceux qui en font partie, à savoir les supporters de l'Olympique de Marseille. Et même en tant que spectateur je n'étais pas passif, comme la majorité des gens au Vélodrome à l'époque.

J'avais envie de m'intéresser aux supporters de l'OM en étant dans une situation d'acte photographique, j'avais envie d'être dans une situation active. Il y a également des souvenirs d'enfance quand j'allais au stade avec des adultes. A l'époque, un adulte pouvait faire entrer un enfant gratuitement avec lui. C'est comme ça que j'ai pu aller au stade. Et à l'époque, l'ambiance m'a fait rêver, m'a marqué. Il y avait déjà une vraie ferveur alors que les groupes de supporters n'existaient pas encore. Le temps a passé, j'ai bourlingué, et quand je suis revenu à Marseille, en 1993, je suis retourné au stade et je me suis aperçu que j'étais plus intéressé par les supporters que par le match. Tout est parti de là.

Vous dites également dans votre ouvrage que vous éprouviez « le besoin de prendre des photos. Peut-être la nécessité de me forger à nouveau une identité ». En quoi photographier les fans de l'OM répond-t-il à ce besoin ?
J'avais besoin d'aller vers les autres et la photo permet de créer du lien. J'ai quitté Marseille en 1983 et quand je suis revenu, j'avais perdu mes repères. Je ressentais le besoin de redevenir Marseillais et il n'y a pas mieux que le Vélodrome pour ça.

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Je voulais aussi sortir d'une zone de confort et remettre de l'humain au centre de mon travail car, à l'époque, je faisais beaucoup de photos en studio.

Comment s'est déroulée votre intégration auprès des supporters marseillais ?
A l'époque, c'était beaucoup plus compliqué d'intégrer ce monde, qui était beaucoup plus underground qu'aujourd'hui. Il n'y avait pas de réseaux sociaux, pas d'images qui circulaient comme aujourd'hui. J'y suis allé au culot, je n'étais pas journaliste, j'allais juste au stade avec un appareil photo en bandoulière.

C'était au début de la saison 96/97, j'étais dans le quart de virage sud. J'ai sorti mon appareil et je me suis approché des capos. Comme c'était des gradins, j'étais au niveau de leurs pieds, en contre-plongée. C'est alors qu'on me dit : « Si tu déclenches, j'envoie un coup de pied ». Du coup, je n'ai pas pris de photos ce jour-là, mais nous avons convenu d'un rendez-vous. Je suis allé voir le Commando ultra et je leur ai montré mon book avec des photos qui n'avaient rien à voir avec ce que je voulais faire au stade. Ils m'ont proposé de revenir et je suis revenu avec le capo. On était en face du public, c'était une manière de me dire, et de dire à tout le monde, qu'il validait ma présence.

Après, il y a eu des moments beaux, des moments de tensions, mais ça s'est toujours bien réglé avec le temps.

Pour un photographe, au même titre qu'un journaliste, expliquer sa démarche peut faciliter l'intégration dans un groupe quel qu'il soit…
Oui, bien entendu. De plus, la confiance s'est installée car j'étais porté par un désir, une envie. J'étais sincère et honnête dans ma démarche. Et puis quand j'ai commencé à faire les déplacements, les supporters ont vu que je ne trichais pas. C'était une évidence que je n'allais pas diffuser ces images à n'importe qui et n'importe où, dans la presse par exemple.

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Vous avez passé près de six années au cœur des supporters marseillais. Comment avez-vous choisi les photos ?
N'ayant pas une grande habitude du 24X36, j'ai dû m'y habituer et il y a eu un peu de déchet, j'expérimentais l'outil pour l'utiliser au mieux. Il a aussi fallu choisir quel type de traitement je voulais faire, à savoir de la couleur ou du noir et blanc. Les photos en tant que telles n'étaient pas très difficiles à prendre, sachant que je ne voulais pas faire de la photo de ''footix''. J'ai aussi décidé de ne pas utiliser le flash, qui peut parfois heurter. Je voulais être complètement immergé, que personne ne remarque ma présence.

Ensuite, la sélection des photos pour ce livre est un travail de digestion, il faut essayer de prendre de la distance. J'ai également montré mes photos à Depé (Patrice De Peretti, membre fondateur du groupe de supporters Marseille Trop Puissant, décédé en juillet 2000, ndlr) qui était quelqu'un de très ouvert. Il a regardé mes photos comme un commissaire d'expo. Il a fait une lecture brute des photos et m'a aidé à les choisir. Ça correspondait vraiment à ce que je voulais faire, montrer des photos où il y avait de la vie, mais aussi de la rage. Depé avait une vraie sensibilité, la même ferveur et la même passion autour de ce sujet qui, bien entendu, le passionnait. C'était, je pense, une manière de me faire comprendre que je faisais partie de la famille.

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On perçoit parfaitement ce côté brut, presque brutal, avec peu de sourire. On pourrait presque penser que les fans ne sourient pas et sont au stade pour expulser leur ressentiment.
Dans un stade, il y a bien sûr des sourires, qui sont liés à des moments de joie, lorsque l'équipe marque un but ou se procure une occasion franche. Peut-être qu'inconsciemment, je ne suis pas allé chercher les photos d'enfants et de familles qui sont faciles à prendre. C'est plutôt la rage et l'émotion que j'ai voulu traduire.

Vous savez un stade, surtout à mon époque, ce n'est pas un monde de bisounours. Le stade est aussi un endroit où on se défoule.

Comment les ultras, et plus largement les supporters marseillais, ont-ils accueilli votre ouvrage ?
Le soir du vernissage, j'ai fortement ressenti que les gens étaient contents que quelqu'un réalise un travail de ce genre, j'ai reçu beaucoup de témoignages qui allaient dans ce sens.

Pour certains Marseillais c'est une autre époque, c'est un livre d'histoire, d'une époque révolue. Les anciens s'y retrouvent, c'est le ''bon vieux temps'', la nostalgie, car le contexte marseillais a changé aujourd'hui, on ne regarde pas un match de foot de la même manière, c'est devenu un spectacle.

Au-delà de ce qui se passe avec la direction, je trouve que, dans les tribunes, l'âme s'est un peu cassée. Les voix portent toujours, les supporters se font toujours entendre, mais ça a changé. Je crois que ça peut tout de même redémarrer car c'est inscrit dans les gènes des Marseillais.

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Et à titre personnel, au-delà de la publication d'un livre de photos, que retenez-vous de cette aventure au cœur des tribunes du Vélodrome ?
C'était merveilleux de découvrir des lieux méconnus. J'y ai rencontré de l'humanité, de la fraternité, la vraie, pas celle qu'on essaie de vous vendre. J'ai vécu des grands moments de bonheur et de liesse que je ne vois plus dans un stade. Tout le monde était uni, peu importe la couleur de peau, peu importe l'âge. Au Vélodrome et dans les virages, j'ai rencontré des mecs divers et variés. Les virages étaient riches. Les gens étaient généreux entre eux. Et je ressentais tout ça.

Certes cette fraternité passait par le stade, mais cette aventure m'a rapproché de l'Homme. Je me suis attaché à l'être humain avec un appareil photo.