Un café À la bonne bière

Un carreau, et puis un autre. Cet homme aime son café sucré. Il semble aussi aimer le boire au calme. Ce matin, c'est raté : à quelques mètres de lui — derrière une barrière faite de fleurs, hommages écrits et bougies allumées — un paquet de journalistes filme ce client du café « À la bonne bière ». C'est sur cette terrasse du Xe arrondissement de Paris qu'il y a trois semaines, jour pour jour, cinq personnes sont mortes.

Ce vendredi matin, sur les coups de 8h00, ce café est le premier lieu touché par les attaques du 13 novembre à rouvrir. Deux employés nous racontent que les premiers clients ce matin sont des habitués. Des voisins, des gens qui travaillent dans les rues alentour. Tous disent l'importance « d'être là dès le premier matin ».

« Mais oui, pas de problème, prenez des photos, vous savez, j'habite ici, on a l'habitude de vous voir depuis trois semaines, vous, les journalistes », nous dit un quarantenaire adossé au comptoir noir de monde. Une heure après l'ouverture, il y a une trentaine de clients, autant de journalistes. L'ambiance est étrange, chacun joue à faire comme si c'était un matin normal, mais les croissants ont bien un goût d'exceptionnel.

Les clients racontent les raisons de cet acte de présence, alors que la co-gérante, Audrey Bily, 37 ans, improvise un point presse qui reprend dans les grandes lignes un mot écrit sur une ardoise de menu affichée à l'entrée. Les premières phrases sont pour les cinq victimes et leurs proches. Les remerciements vont ensuite aux pompiers, à la police mais aussi aux riverains qui ont soutenu cette réouverture. « Je suis venue tous les matins en soutien », nous dit une jeune femme blonde en reposant son café sur le comptoir.

Cela fait deux ans qu'Audrey Bily est l'une des propriétaires de ce café qui ouvre habituellement de 6h00 à 2h00 du matin, mais l'endroit date de l'avant-guerre. « Cela fait plaisir de revoir les habitués. » Très émue, elle raconte les travaux qu'il a fallu conduire pour « effacer les stigmates du cauchemar ». Des murs ont été repeints, des vitres percées par les impacts de balles ont été changées. Les services de la propreté de Paris sont venus pour aider à déplacer les fleurs et objets déposés en hommage, afin que le monde puisse encore venir se recueillir. « On se sentait prêts aujourd'hui », dit-elle. « On va faire revivre ce quartier. »

Au-dessus du café, une banderole a été tendue : « Je suis en terrasse », entouré par deux silhouettes de tour Eiffel figurant le symbole de la paix. Un mot d'ordre qui avait largement circulé sur les réseaux sociaux, notamment le vendredi qui a suivi les attaques. Le quartier du café À la bonne bière a été martyrisé par deux équipes d'assaillants le 13 novembre, celle dite du « Bataclan », qui se trouve à quelques pâtés de maison, et celle dite des « terrasses », un commando qui a tiré sur plusieurs cafés et restaurants, dont À la bonne bière.

Les autres lieux ne doivent pas rouvrir avant le début de l'année prochaine pour certains. Quant au Bataclan, ses gérants ont avancé une possible réouverture, mais pas avant la fin 2016.

Il est 9h00. L'homme au café sucré repose sa tasse, des journalistes s'assoient à sa table. En face, une personne vient se recueillir devant un autre endroit sur lequel les terroristes ont tiré : la pizzeria Casa Nostra.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray

Suivez Étienne Rouillon sur Twitter @rouillonetienne