Tous les espoirs sont permis pour le MMA en France

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Tous les espoirs sont permis pour le MMA en France

Président de la Commission française du MMA, Bertrand Amoussou tente de développer la discipline, malgré l'hostilité d'autres sports de combat et l'arrêté ministériel qui interdit officiellement la pratique pro des arts martiaux mixtes en France.

Le 23 octobre 2016, les amateurs français de MMA ont reçu un vilain coup par derrière. Ce jour-là, le gouvernement publiait un arrêté ministériel interdisant les compétitions de MMA en France, sans jamais mentionner explicitement cette discipline, pourtant en plein essor dans l'Hexagone. Le texte établit les « les règles techniques et de sécurité applicables aux manifestations publiques de sports de combat ». « Les combats se déroulent sur un tapis ou sur un ring à 3 ou 4 cordes », précise-t-il ensuite. Sous-entendu : exit les combats en cage, comme c'est le cas en MMA. Le message est encore plus clair quand on lit la suite de l'arrêté, qui interdit « les coups de poing, coups de pied, coups de coude et coups de genou visant un combattant au sol ». Bref, l'essence même des arts martiaux mixtes.

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Cette décision – prise par le ministre des Sports de l'époque Thierry Braillard – a d'autant plus choqué les combattants français qu'elle est intervenue peu de temps avant la remise d'un rapport parlementaire sur la pratique du MMA en France, mené et rédigé par le député socialiste Patrick Vignal et le sénateur Les Républicains Jacques Grosperrin. Ce texte s'avèrait résolument favorable au MMA et proposait la mise en place d'une instance provisoire chargée d'aider à la structuration de la discipline et d'accompagner sa légalisation. Une avancée qui a donc été court-circuitée par l'arrêté.

Du coup, le paradoxe français nous revient en pleine gueule lorsqu'on évoque le MMA. D'un côté, plusieurs combattants tricolores flambent au plus haut niveau : Tom Duquesnoy et le Franco-Camerounais Francis Ngannou à l'UFC, ou encore Karl Amoussou et Damien Lapilus dans d'autres organisations. Mais de l'autre côté, la France est le seul pays au monde, avec la Norvège, à ne pas légaliser la discipline : les compétitions sont interdites alors que la pratique est autorisée et même largement répandue au niveau loisir et amateur. Ces incohérences suscitent incompréhensions et crispations chez les pratiquants qui ne cessent de s'agacer.

Exilé en Suisse avec l'ancienne championne du monde de judo Morgane Ribout, qu'il entraîne aux arts martiaux mixtes, Bertrand Amoussou est le leader de la lutte pour la reconnaissance et le développement du MMA en France. Président de la Confédération française de MMA et membre du board de la Fédération internationale, l'ancien champion de ju-jitsu a pris le temps d'évoquer la situation du MMA en France et ses perspectives de développement. Le contexte semble favorable pour que l'état végétatif dans lequel se trouve ce sport en France cesse.

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Bertrand Amoussou, à droite, à côté de son frère Karl, combattant professionnel. Photo Fred Jasseny.

VICE : La mission parlementaire commandée par Manuel Valls a-t-elle été bénéfique pour le MMA en France ?
Bertrand Amoussou : Elle a été très bénéfique car elle a en quelque sorte officialisé l'existence de ce sport. Le fait que Thierry Braillard (Secrétaire d'Etat chargé des Sports jusqu'en mai 2017, ndlr) commande ce rapport veut dire qu'il sait que le MMA existe. Tout à coup, nous existons et nous ne sommes plus estampillés sport "underground". Patrick Vignal a concédé qu'avant de se lancer dans son travail d'observation, il pensait boucler le rapport rapidement, en disant que les MMA est un truc pratiqué par quelques mecs de banlieue qui se battent dans une cage. Sauf qu'il a mené plein d'auditions et tout le monde, presqu'à l'unanimité, a dit que ce sport est déjà bien installé en France et qu'il faut maintenant le réglementer. Car c'est l'absence de règlementation qui va entraîner des dérives.

Patrick Vignal, qui est un ancien judoka et un ancien éducateur, a tout de suite compris. C'était comme une évidence, d'autant plus qu'il a interrogé des gens venant d'univers différents, de tous les sports et pas seulement du MMA. Son rapport est donc favorable au MMA, puisqu'il propose même de créer un observatoire.

Qu'est-ce que ça aurait signifié, si l'arrêté ministériel n'avait pas tout bloqué ?
En fait, ''observatoire'' n'est pas le bon mot, car le rapport parlementaire préconisait tout simplement de créer une fédération. C'est ce que tout le monde recommande. Le problème est que la Confédération des arts martiaux et des sports de combat fait partie intégrante de cet observatoire et que la plupart de ses membres sont hostiles aux MMA.

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Pourquoi cette crainte de la discipline ?
Il y a 10 ans, la presse et les institutions étaient, en effet, fermement opposées au MMA. Aujourd'hui, la presse a fait son travail de recherche et de documentation, et s'est rendue compte qu'il y avait beaucoup de légendes urbaines, ou de fausses idées, autour du MMA.

Les compétitions sont très réglementées, les arbitres veillent à la sécurité des athlètes. La fameuse phrase « Ce sport où tous les coups sont permis » que certains journalistes adorent utiliser, car peut-être plus vendeuse, est tout simplement une extrapolation de la réalité, voire un mensonge. Toutes les personnes informées le savent. Mais aujourd'hui, les articles de presse concernant notre discipline sont beaucoup plus sérieux et sans a priori.

Concernant les institutions, il y a différents combats à mener. Les principaux dirigeants de fédérations d'arts martiaux comme le judo, voient d'un très mauvais œil l'ascension fulgurante du MMA. On fait peur, ils ont peur qu'on leur prenne des ''parts de marché''. Du coup, tout un travail de lobbying et de dénigrement du MMA s'est mis en place pour faire barrage. Jusqu'à maintenant le ministère des Sports y a prêté une oreille attentive. Il est temps que cela change.

Qu'a donc donné la première réunion de cet observatoire qui a récemment eu lieu ?
La réunion s'est déroulée au ministère des Sports avec les membres de la Confédération des arts martiaux et des sports de combat. L'actuel président de cette confédération est le président de la Fédération française de lutte (Alain Bertholom, ndlr), mais celui qui a le plus d'influence et de poids c'est Jean-Luc Rougé, le président de la Fédération française de judo. Et on connaît sa position par rapport au MMA.

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Je me retrouve donc au début de l'été à cette réunion durant laquelle on est censé démarrer cet observatoire. Je suis face au DTN du judo qui démarre en disant que lui et Jean-Luc Rougé vont se battre jusqu'au bout pour que le MMA ne soit pas légalisé. A ce moment-là, j'ai l'impression qu'on revient 15 ans en arrière. La question n'est plus de savoir s'il faut légaliser le MMA, puisque le rapport parlementaire le dit, mais dans quelles conditions cette légalisation peut se faire.

Le MMA se retrouve donc dans une situation qui n'évolue pas ?
Oui, pour le moment ça ne bouge pas. On est en plein été, il ne va rien se passer. Le ministère est concentré sur Paris 2024. On attend donc la désignation de la ville hôte, le 13 septembre à Lima, pour discuter à nouveau.

« Laura Flessel sait ce que le MMA peut apporter au niveau éducatif, elle n'a pas peur de ce sport »

Et l'affiliation à une fédération déjà existante peut être une solution envisageable en attendant ?
Oui c'est une possibilité. Je pense qu'avec le judo, ça serait très mal venu ou mal accueilli par le monde du MMA, car le judo nous combat depuis qu'on essaie d'exister. La lutte peut être une alternative, d'autant plus qu'on a déjà été en contact avec la fédération. Sauf que l'ancien ministre des Sports, Thierry Braillard, a persuadé Alain Bertholom (le président de la Fédération française de lutte, ndlr) de ne pas récupérer le MMA. Du coup le projet s'est arrêté là. Mais intégrer une fédération déjà existante peut être une solution, même si le mieux pour le MMA est d'avoir sa propre fédération indépendante.

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Et depuis l'élection d'Emmanuel Macron et la mise en place du nouveau gouvernement, tu as repris les discussions ?
Aujourd'hui, je pense que nous sommes dans un environnement favorable, les conditions sont réunies. On ne parle pas à des gens qui ne connaissent pas les sports de combat comme à l'époque de Roselyne Bachelot qui ne connaissait peut-être pas la différence entre la boxe anglaise et la boxe thaï.

Le changement de gouvernement pourrait donc servir la cause du MMA ?
Complètement. Aujourd'hui, nous avons une ministre des Sports qui a pratiqué le MMA. J'ai la chance de connaître Laura Flessel qui était venue me voir à l'époque où elle était encore escrimeuse. Elle m'avait demandé si le MMA pouvait l'aider à bien finir sa carrière. On a fait une dizaine de séances avec son maître d'armes qui filmait. Elle a adoré. Laura sait ce que le MMA peut apporter au niveau éducatif, elle n'a pas peur de ce sport. Je ne vous parle pas de compétition car c'est autre chose. Le sport que l'on regarde avec tous les grands champions et différent de celui qu'on pratique. N'importe qui peut pratiquer le MMA éducatif alors que seulement 5% des combattants vont à l'UFC.

D'ailleurs, les combattants professionnels ne sont même pas évoqués dans le rapport parlementaire…
C'est normal car le rapport ne concerne pas les combattants pros, mais le MMA en tant que discipline. L'UFC, qui est la plus grosse organisation de MMA, ne fait pas partie de nos discussions, nous n'en parlons pas au ministère. Je sais que si nous parvenons à créer une fédération, on abordera la question de la compétition, et ça fera partie du processus naturel du développement du MMA en France.

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Vous n'avez pas essayé de faire valoir auprès des instances les valeurs du MMA, souvent mis en avant par les combattants eux-mêmes ?
Tout le temps. J'ai créé le terme de MMA éducatif. Aujourd'hui il y a le MMA professionnel, il y a le MMA amateur, avec un règlement différent, et un MMA éducatif qui est encore différent et bien éloigné de ce qu'on peut voir à la télévision et qui peut permettre à des jeunes d'apprendre toutes sortes d'arts martiaux et de progresser techniquement.

Je pense peut-être naïvement que des mecs comme Tom Duquesnoy, Francis Ngannou, Karl Amoussou ou encore Taylor Lapilus sont de belles vitrines. Ne peuvent-ils pas servir la cause du MMA en France ?
Ces combattants ne sont pas assez connus en France pour faire bouger les choses. Ils sont connus dans le monde des sports de combat mais pas ou peu au-delà. Alors oui, bien sûr si un Teddy Riner ou un Paul Pogba font du MMA ça va faire bouger les choses car leur notoriété dépasse le cadre de leurs sports.

Aujourd'hui j'entraîne Morgane Riboud, championne du monde de judo qui démarre une carrière en MMA. Elle est connue dans le monde du judo mais c'est tout. Tu parles de Morgane Riboud, personne ne la connaît et qu'elle fasse du MMA ne va rien changer à la situation. Pareil pour Tom et les autres. Si on demande autour de nous qui sont tous ces sportifs, personne ne va les connaître. Il faudrait une superstar pour démocratiser le MMA.

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Et pensez-vous que ces conditions favorables peuvent freiner le lobbying anti-MMA ?
Si Jean-Luc Rougé va voir Laura Flessel en lui disant que le MMA est un sport de sauvage, elle va lui répondre qu'elle a pratiqué et qu'elle connaît la discipline. Elle sait que ce n'est pas un sport de sauvage. Il n'y aura pas la même écoute.

Mais ça ne veut en aucun cas dire que tout est ouvert. J'insiste sur ce point. C'est à moi et aux gens avec qui je travaille d'amener un dossier solide à Laura Flessel. On sera rapidement fixé je pense.

Tu avais déposé des recours au Conseil d'Etat suite à l'arrêté. Où en sont-ils ?
On attend, ça prend du temps. Mais l'arrêté est le texte de loi le plus facile à défaire.

Cet arrêté a été une réponse directe au gala de MMA organisé au Cirque D'Hiver en septembre 2015…
Oui, mais ce qui m'a surtout étonné c'est le timing de cet arrêté, juste avant la remise du rapport parlementaire qui était favorable au MMA. Et le monde entier a été choqué, j'ai même un journaliste d'Al Jazeera qui m'a appelé à ce sujet. Ça va complètement à l'encontre du nombre de licenciés qui est en constante augmentation…

Toi qui travaille en Suisse, qui voyage et qui a une dimension internationale, comment cette situation est-elle perçue à l'étranger ?
« La France c'est le pays des droits de l'Homme, comment vous pouvez avoir cette réflexion ». J'entends le plus souvent cette phrase là précisément. Ils ne comprennent pas que la France ne soit pas ouverte sur ce sujet-là.

Les potentielles retombées financières du MMA ne sont-elles pas un argument plausible pour aider la cause du MMA ?
C'est un argument, mais il y a deux réflexions autour de cette question. Tu as ceux qui vont dire qu'il y a en effet un vrai potentiel, que le MMA peut créer des emplois, insuffler une nouvelle dynamique, et d'autres qui pensent que Américains vont débarquer en France avec tout leur pognon. Je suis désolé mais en France on a besoin d'argent, on a besoin de créer de l'emploi. On fait des événements de moto, de skate et on a peur d'un événement de MMA pour des raisons de sécurité. C'est hallucinant.

Mais encore une fois, je préfère partir de la base, le reste viendra tout seul, par la suite. La compétition n'est que la vitrine qui peut servir d'exemple et transmettre certaines valeurs. Les gens ne se rendent pas compte la force mentale que demande le fait d'aller combattre. Et ça sert puisque le combat le plus important est celui de la vie et ce genre de discipline t'apprend à serrer les dents, à ne rien lâcher. Les gens n'entendent pas ça, ne le perçoivent pas. La vie c'est un putain de combat.