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Sports

Non, la Bretagne n'est plus un désert rugbystique

Avec la montée du Rugby club de Vannes en Pro D2 et les demi-finales du Top 14 qui se jouent ce week-end à Rennes, le rugby breton compte poursuivre son essor.
Photo PQR

Poussez-vous, les fêtards déboulent. « C'était au début des années 2000, lors d'un voyage avec Perros-Guirec au stade des Sept-Deniers, où Toulouse recevait La Rochelle. Pendant le lever de rideau des cadets, les séniors étaient au bord du terrain, juste devant nous. Bien chaud, un pote chauffait les internationaux Christian Califano et Franck Tournaire, ''On vous prend où vous voulez'', en se marrant avec eux ! Même si certains se sont toujours demandés ce que les Bretons faisaient là, on n'a jamais démérité en troisième mi-temps. » L'anecdote contée par Laurent Frétigné, ancien talonneur qui a joué dans de nombreux clubs amateurs de la région, illustre au mieux l'image ancestrale du rugby à la sauce breizh, rugueux devant et festif ensuite. Dans le passé, les récits de glacières de punch sifflées sur le retour d'un déplacement ou les concours de claques dans le bus entre cadets ne manquent pas.

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Pris pour des rigolos incapables de se faire une passe redoublée ou une belle sautée, les Bretons ont longtemps subi une condescendance de l'ovalie historique, bien ancrée au sud de la Loire. Même au sein des instances représentantes du rugby français. « A mes débuts au comité directeur de la Fédération française de rugby (FFR), il a fallu un moment pour qu'on me dise bonjour, se souvient Jean-Paul Canaud, président du comité de Bretagne depuis huit ans. Aux premières réunions, c'était plutôt : ''qui tu es pour prendre la parole ?'' Mais maintenant, je suis au bureau directeur, preuve de l'évolution. » Une image changée au prix d'un long travail de développement. Comme un aboutissement, le RC Vannes (RCV) vient de monter en deuxième division (Pro D2), devenant la première formation professionnelle de la région, avec quasiment deux ans d'avance sur son objectif. A sa tête depuis quatre saisons, François Cardon a même reçu de nombreuses félicitations du Sud-Ouest: « Au fil des ans, j'ai tissé de nombreux liens avec des mecs devenus potes, à Langon, Libourne… »

Petit à petit, dans le sillage du RC Vannes, le rugby breton s'installe sur la carte de l'ovalie française. Photo Morgane Lafforgue via Flickr.

Disputé contre Massy mi-mai (25-13), le match de la montée a été un incroyable rassemblement, avec près de 9 000 personnes des quatre coins de la région réunies au stade de La Rabine. « J'ai vu des habitués du rugby breton du Finistère, de Rennes, de Saint-Brieuc, ou encore de Lannion, et puis tous ceux qui ont construit le club petit à petit, dont pas mal d'anciens de la période Fédérale 3 (cinquième division, ndlr), souligne Laurent Frétigné, par ailleurs journaliste chez Ouest-France et auteur du blog Mêlée ouverte. Pour tous ces gens, c'était un immense bonheur, l'ambiance était folle ! » Parce que le RCV comme on l'appelle, est la locomotive dont la Bretagne rugbystique avait besoin. A lui de s'installer en Pro D2 pour donner une crédibilité encore plus grande à l'ensemble. La pression. Afin d'y parvenir, le club va s'appuyer sur un effectif renforcé, dont font partie une dizaines de joueurs issus des catégories de jeunes du club.

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Preuve d'un projet construit sur la formation, « dans les gènes » du club morbihannais, dixit le président Cardon, l'équipe des juniors Balandrade (moins de 18 ans) du club est aussi cette année devenue championne de France, en étant « formée de 50% des jeunes issus de notre école de rugby, 50% d'autres écoles de la région », comme le précise Jean-Noël Spitzer, entraîneur de l'équipe première depuis 11 ans. Comme une franchise bretonne, le RCV fédère derrière la bannière régionale. « Même les étrangers qui viennent s'identifient à notre forte identité culturelle, on leur fait passer le message bien avant leur arrivée », relance le coach Spitzer. Plus qu'une fierté dans le coin. « Je me souviens d'un match contre Montpellier où le coach disait ''depuis quand il y a du rugby en Bretagne'', illustre Lenaïg Corson du Stade Rennais, en première division féminine depuis un moment. C'est le genre de commentaire qui nous rapproche, nous galvanise et fait de nous des combattantes, fières de défendre le Gwenn ha Du (fameux drapeau breton) qu'on a toujours dans le vestiaire. » Le regroupement se fait parfois derrière l'hymne breton ou le bagad local. L'arc sur lequel joue également le RC Vannes pour fidéliser, depuis le virage d'une structuration de plus en plus professionnelle emprunté voilà trois ans

La montée du club morbihannais marque également la réussite d'un politique régionale de fond, menée dans l'ombre. « Le président de la FFR Pierre Camou disait souvent ceci : ''La Bretagne, c'est le seul iceberg dont rien ne dépasse'', valide le président du comité régional, ex-joueur de Lorient ou ex-dirigeant de Quimper. C'est vrai qu'on est devenu leader du Grand Ouest, mais tant qu'on n'avait pas d'équipe pro, ni de joueur en équipe de France, on n'existait pas. » En même temps, le rugby part de très loin en Bretagne, derrière le foot et le vélo historiquement implantés. Un véritable désert. « Il y a 30 ans, il n'y avait rien, pas d'école de rugby, les quelques clubs étaient faits par des gens qui avaient souvent l'accent », reconnaît Jean-Paul Canaud.

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Dans les Côtes-d'Armor, Philippe Corson a connu ça au début des nineties à la demande d'anciens élèves, souhaitant prolonger l'aventure rugby après leur sortie du lycée proche de Guingamp où cet enseignant d'EPS leur avait fait découvrir. « A Plouaret, tout le monde s'est réjouit de l'idée mais ensuite, j'ai le sentiment qu'on m'a plus ciré la planche qu'on ne m'a aidé à la franchir, raconte l'ancien entraîneur et président du club de Vieux-Marché, créé en 1994. Pour transformer le terrain de foot laissé en friche en terrain de rugby, j'ai fait les premiers chèques, récupéré des bouts de ferraille pour fabriquer les poteaux, ou encore ramené un tracteur pour broyer les 80 mètres d'herbes qu'il y avait… C'était ric-rac au début, mais on n'a jamais fait forfait. » De la vingtaine des débuts, ils sont désormais près de 130 licenciés sur ce territoire rural.

C'est donc rien de dire que la Bretagne a un vivier bien plus faible que dans le Sud. Actuel troisième ligne centre à Douarnenez (Finistère), en deuxième série (huitième division), Etienne Fraval se remémore une période pas si lointaine où il était pilier à Lannion (Côtes-d'Armor) : « C'était en 16e de finale du championnat de France honneur et un petit village des Landes nous avait mis une énorme branlée. Un autre monde, même si nous venions d'une ville bien plus grande. Ils étaient montés avec un bus de supporters, quand nous étions descendus avec maximum une voiture remplie de cinq soutiens. » En bas de l'échelle, tous les acteurs s'accordent à le dire, le niveau est encore bien trop faible, alors que la couverture territoriale est encore déficitaire lorsqu'on s'éloigne du littoral. « Le comité se gargarise, mais on n'est pas vraiment aidé au niveau scolaire non plus », embraye Philippe Corson. Le travail de démocratisation locale est loin d'être fini.

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Le stade de la Rabine à Vannes, après la victoire contre Massy, synonyme de montée en Pro D2.

Depuis son arrivée à la tête du comité de Bretagne, désormais plus structuré du haut de ses dix salariés, Jean-Paul Canaud a pourtant placé la barre haute. « Face à la concurrence de plus de 80 ligues sportives différentes, il fallait continuer les progrès quantitatifs, mais aussi viser une amélioration qualitative, par la formation des entraîneurs (plus de 60 cette année, un record !) vers un niveau plus compétitif », liste-t-il.

Vannes, encore, revient en exemple de l'évolution technique des joueurs bretons. « A l'époque de la Fédérale 1, j'avais un paquet d'avants et un buteur, assume Jean-Noël Spitzer. Plus tard, on a misé sur les contre-attaques, notamment du troisième rideau. Et ensuite on a commencé à basculer sur du jeu devant la défense. » Coïncidant par hasard avec la création (obligatoire en pro) d'une équipe espoir, le RCV va maintenant voir naître le deuxième centre universitaire du rugby breton, derrière Rennes où les filles sont installées depuis longtemps, suivies des garçons titrés cette année.

Dans la cité portuaire vannetaise, le jeu et les jeunes vont justement de pair. Clairement identifié, un projet en faveur de la continuité du jeu et la prise d'espaces est inculqué dès les plus jeunes catégories. « Même en moins de 10 ans, ils sont déjà forts sur les plaquages et les rucks », ajoute Laurent Frétigné, dont le fils évolue lui au Rennes étudiant club (Rec). C'est bien toute la Bretagne qui pourrait bien profiter des retombées de l'installation du moteur morbihannais dans le monde pro. « Les progrès viendront du haut-niveau, avec les joueurs qui reviendront ensuite à l'échelon inférieur », affirme Jean-Noël Spitzer. Désormais, avec l'équipe espoir, les meilleurs jeunes auront également la possibilité de rester en Bretagne, là où une trentaine de régionaux ont intégré les centres de formation de clubs pros français. L'accession de Vannes en Pro D2 n'est enfin pas un épiphénomène. Dans le même temps, Nantes a rejoint la Fédérale 1, et Le Rheu la Fédérale 2, où figure déjà le Rec.

L'organisation d'événements majeurs prouve aussi la reconnaissance acquise doucement par l'ovalie bretonne. Depuis le Congrès de la FFR organisé à Vannes en 2007-2008, l'Ouest a reçu la Coupe du monde junior en 2013, la même année que les demi-finales du Top 14 à Nantes. Avant celles de Rennes, ce week-end, fruit d'un boulot de lobbying auprès des instances nationales en cette année d'Euro. Pour offrir une visibilité toujours bienvenue. « Parce que devant les pages de la presse locale, j'ai encore parfois envie de pleurer », clame Jean-Paul Canaud. En nombre de pratiquants, le rugby n'est que la dixième discipline de Bretagne. Et comme tout passe par la base…

La communication est donc encore une fois nécessaire. « Au Roazhon Park (l'enceinte du Stade rennais où se disputent les demi-finales, ndlr) on aura un stand, assume Lenaïg Corson qui regrette la croissance trop faible du nombre de pratiquantes et ne manque jamais une occasion de caser un mot sur son sport. Si les papas emmènent leurs filles, elles pourront tomber sur nous. J'espère qu'on en recrutera quelques-unes et que ça gonflera un peu les effectifs. » Peut-être plus qu'ailleurs, terroir et monde pro iront de pair.