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Sports

Rétro : Gabriel Hanot est l'inventeur oublié du football moderne

Si vous avez pu mater Real-PSG mardi soir, c'est surtout grâce à lui.
Toutes photos archives L'Equipe

Aujourd'hui elle a des recettes estimées à 1,34 milliard d'euros chaque année. Sa finale est retransmise dans plus de 200 pays, avec une audience moyenne de 180 millions de téléspectateurs, comme ce fut le cas en mai dernier. En 2015, la Ligue des Champions est une grosse machine et un événement majeur pour tout amateur de football. Pourtant, on connaît peu celui qui en fut à l'origine. Gabriel Hanot est Français, fut joueur puis entraîneur de l'équipe de France, aviateur émérite durant la Grande Guerre et journaliste sportif de renom.

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C'est le 13 décembre 1954 qu'Hanot, alors journaliste à L'Équipe, imagine la Coupe d'Europe des clubs champions. Ce jour-là, un match amical oppose l'équipe anglaise de Wolverhampton et l'équipe hongroise du Honved Budapest. Les joueurs anglais remportent le match 3-2. Le lendemain, un journaliste anglais déclare dans le Daily Mail : « Saluons les merveilleux Wolves d'avoir donné́ à la Grande-Bretagne sa plus grande victoire en football depuis la guerre. » Le manager de Wolverhampton, Stanley Cullis, va même jusqu'à déclarer à propos de son équipe : « Les voilà̀, les champions du monde. »

Face à tant d'emballement, Gabriel Hanot lance l'idée d'une compétition où s'affronteraient les meilleures équipes européennes : « Attendons pour proclamer l'invincibilité́ de Wolverhampton qu'il soit allé à Moscou et à Budapest. Et puis il y a d'autres clubs de valeur internationale. Milan et le Real Madrid pour ne citer que ceux-là. L'idée d'un Championnat d'Europe des clubs mériterait d'être lancée. Nous nous y hasardons. »

Interrogé sur le sujet l'année dernière, Jacques Ferran, ancien collègue et ami de Hanot à L'Équipe, aujourd'hui âgé de 95 ans, gardait un souvenir intact de l'émulation qui avait gagné dès la semaine suivante la rédaction, rue du Faubourg-Montmartre. « Tout le monde au journal avait bien conscience qu'il s'agissait d'une idée fantastique, pour les clubs et pour les supporters, explique Ferran. En bon chef d'entreprise, notre patron Jacques Goddet avait également compris l'opportunité de développement des ventes que cela représentait. » Evidemment : ajouter des matches durant la semaine donnait l'opportunité de mettre plus d'informations dans le journal.

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Confiants dans leur formule, les journalistes de L'Équipe décident alors d'organiser eux-mêmes la compétition, comme avait pu le faire en 1903 L'Auto avec la création du Tour de France cycliste. Au total, 16 clubs acceptent l'invitation. Le 4 septembre 1955, le match entre le Sporting Portugal et le Partizan Belgrade (3-3) donne le coup d'envoi d'une compétition qui va marquer l'histoire du football européen. Pourtant, Hanot décide à l'époque de se détacher de l'organisation de l'événement. « Il nous a dit que ce n'était pas son job, raconte Ferran. Lui, c'est le jeu et les joueurs qui l'intéressaient. » Une discrétion typique du natif de Tourcoing.

Gabriel Hanot avant la remise du premier Ballon d'or. Photo archives L'Équipe

Mais réduire la carrière d'Hanot à la création de la Coupe d'Europe des clubs champions serait un préjudice pour le personnage, qui a fait tellement plus au cours d'une vie consacrée au football. « Les projets de Coupes d'Europe étaient régulièrement réactivés à l'époque, explique Paul Dietschy, historien du football. Beaucoup de pays avaient ce projet, avec la volonté d'établir une hiérarchie européenne. Ce qui a fait que cela a réussi à ce moment -là, c'est que toutes les conditions étaient réunies : l'aviation à réaction se démocratisait, de même que les éclairages de nuit. »

Pour lui, Hanot a surtout marqué son époque en apportant une nouvelle façon de raconter le football : « Il est un de ceux qui ont inventé en ce temps-là un discours sur le football technique, sur les différentes manières de jouer qui sont apparues en fonction des nationalités. Il avait une véritable science du jeu associée à une écriture soignée, lettrée, qui remettait à chaque fois le football en perspective. » Intellectualiser le jeu, une certaine marque déposée par le journalisme sportif français de l'époque.

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Hanot n'hésite pas à citer Pascal par exemple pour décrire le meilleur joueur d'alors, Alfredo Di Stefano : « Di Stefano est comme Dieu, c'est une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part. » Di Stefano remportera en 1957 son premier Ballon d'Or, une autre création de Gabriel Hanot, avec ses collègues de France Football.

Gabriel Hanot aiguise d'abord sa plume pendant sa carrière de joueur dans la revue Football association et rugby. Puis, après sa retraite de joueur, il écrira pour L'Auto, avant de rejoindre Le Miroir des sports où il devient rédacteur en chef. Il collabore par ailleurs à l'hebdomadaire L'Illustration où il écrit sur tous les sports, du golf au cyclisme.

Mais son domaine d'expertise reste le football. Il arrive à L'Équipe dans les premiers mois de sa création en 1946. En parallèle, il occupe une place prépondérante dans les instances du football français et européen en contribuant à l'adoption du professionnalisme en 1932 ou en créant les premiers centres de formation pour entraîneurs.

Gabriel Hanot remettant le premier Ballon d'or à l'Anglais Stanley Matthews en 1956. Photo archives L'Équipe

Entre 1945 et 1949, Gabriel Hanot prend également les rênes de l'équipe de France, tout en étant journaliste. « A l'époque, ce n'était pas étonnant : il y avait une certaine consanguinité entre la presse et la Fédération, explique Paul Dietschy. Certains journaux publiaient par exemple les pages officielles de la FFF, des organes de presse relayaient à titre officieux ce que pensaient certains membres de la Fédération. Qu'un journaliste soit aussi sélectionneur de l'équipe de France paraissait ainsi beaucoup moins invraisemblable que ça ne pourrait l'être aujourd'hui. »

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C'est au lendemain d'une cuisante défaite 5-1 face à l'Espagne qu'Hanot publie l'un de ses papiers les plus célèbres. L'édito, paru dans L'Equipe et non signé, déclare : « Seul le sélectionneur n'a pas réussi sa saison. S'il suffit de remplacer un homme alors nous le ferons. » Peu après, Hanot démissionne de son poste à la tête des Bleus. Un coup d'éclat parmi tant d'autres pour le directeur éditorial de L'Equipe.

La sélection, il l'avait connue comme joueur également. Avant le début de la Première guerre mondiale, il y est déjà titulaire, comme latéral. Il jouait alors à l'US Tourcoing après un détour par l'Allemagne pendant deux années d'études, à Berlin. Pendant la guerre, il honorera quelques sélections non-officielles, tout en étant incorporé au 141e régiment d'infanterie. Il sera par la suite un aviateur émérite.

Sa carrière d'international s'arrêtera à 30 ans, en 1919, après un France-Belgique où il porte le brassard de capitaine. Durant ce match, il inscrit deux buts qui permettent aux Bleus d'arracher le match nul en fin de partie. Au total, le latéral a honoré douze sélections officielles sous le maillot français avant qu'un accident d'avion ne mette un terme à sa carrière. Il continuera tout de même à voler par la suite, ce qui l'amènera à fréquenter Antoine de Saint-Exupéry et le gratin de l'aviation de l'époque.

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Dans son éditorial du 27 août 1968, quelques jours après la disparition d'Hanot, Jacques Ferran écrit ces lignes dans les colonnes de France Football : « Ouvert à tout ce qui n'était pas le football, Hanot ramenait tout au football avec une conviction et une lucidité inimitables. C'est ainsi qu'il renouvelait indéfiniment notre matière en la colorant de toutes les activités humaines. »

Figure tutélaire du journalisme sportif pour certains, père fondateur du football moderne pour d'autres, Hanot a toujours refusé les honneurs et les hommages. Tout juste un stade municipal porte son nom dans la commune de Wangenbourg-Engenthal (Bas-Rhin) où il est enterré. Le trophée des champions avait également été nommé trophée Gabriel-Hanot en son honneur : l'appellation s'est perdue.

Malgré une vie à poser les bases du football européen moderne et du journalisme sportif français, Gabriel Hanot a peu à peu disparu de la culture footballistique générale, pour se retrouver circonscrit aux ouvrages spécialisés dans l'histoire de ce sport. Une discrétion qu'il aurait peut-être appréciée finalement.