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Sports

Les Jeux olympiques de Franco ou comment la dictature a violé le sport

Le dictateur espagnol a essayé de tirer profit des Jeux de Londres et d'Helsinki pour promouvoir ses prétendues vertus. L'histoire est aussi misérable que les résultats obtenus.
La guía oficial de las Olimpiadas de Helsinki de 1952. Imagen vía Twitter.

Cet article a été initialement publié sur VICE Sports Espagne.

Quarante ans. Il y a quarante ans que Franco est mort et il y a encore des gens pour dire du bien de son époque, que ce soit le vieux sénile qui t'assure que « ça, ça ne se passait pas du temps de Franco » à la commère du quartier – peut être pas sénile mais certainement démente, ce qui est pire – qui lâche tout un tas d'énormités diverses et variées.

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Dans ces situations-là, comme je préfère prendre les choses raisonnablement plutôt que de me foutre en rogne, me vient à l'esprit le fameux monologue de Roberto Benigni dans lequel il se moquait de ceux qui disaient que « Mussolini avait aussi fait de bonnes choses ». « Bon, lui et Staline ont sans doute inauguré un pont ou ils devaient bien dire bonjour à quelqu'un de temps en temps ! », comme disait l'acteur italien.

Je ne sais pas si c'est parce que l'on parle beaucoup du dictateur – ou peut être parce que mercredi je suis allé dans un restaurant de cuisine fusion et que le dîner est très mal passé – , mais le fait est que cette semaine, j'ai fait un cauchemar des plus étranges. Dans ce rêve lucide m'est apparu un monstre, un être répugnant avec un corps de gnome et la tête de Franco qui se regardait dans le miroir avec un sourire prétentieux. Je me rappelle qu'autour du cou il avait la médaille d'argent de l'épreuve de tir des Jeux olympiques de 1952.

Mais le plus horrible c'était sa voix, une sorte de Gollum qui dirait « mon précieux ». La voix en question ne disait qu'une phrase ad nauseam : « L'important c'est de participer, l'important c'est de participer, l'important c'est de participer… », répétait-elle.

Le guide officiel des Jeux Olympiques de 1952 à Helsinki. Image vía Twitter.

Pourquoi est-ce que je vous raconte ça ? Eh bien parce que cette vision abominable, en plus de me filer la nausée, a piqué ma curiosité et j'ai donc commencé à enquêter. Que faisait Franco à Helsinki en 1952 ? Quel était le rapport entre le dictateur et les Jeux olympiques, voire le sport en général ?

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Ce que je vais vous raconter correspond à ce que j'ai découvert. Et non, il n'y a plus trop de place pour le « il a certainement fait quelque chose de bien » de Benigni.

***

Malgré l'importance qu'a donné la dictature nationaliste catholique de Franco au sport, à des fins de propagande, il est aujourd'hui certain que son régime s'est employé à en détruire systématiquement les valeurs de base. Le dictateur a remplacé la triste réalité d'après-guerre par les belles cartes postales de Benidorm que l'on retrouvait souvent dans les bureaux de tabac : des photos lamentables, complètement enjolivées et plus fakes que la mèche de Trump. La guerre civile a duré, officiellement, trois ans, mais elle a en réalité duré beaucoup plus longtemps. Le sport a été l'une de ses victimes.

Francisco Franco jouant au golf : l'image d'un type profondément préoccupé par un pays en ruines. Image vía Twitter.

Il est intéressant de noter l'intérêt que les mouvements totalitaires du XXe siècle ont prêté au sport : plus que comme un entraînement et un dépassement de soi, les dictatures ont utilisé l'exercice sportif comme une arme de propagande de guerre avec laquelle elles pouvaient dominer leurs ennemis. Les régimes totalitaires utilisaient les sauts, les courses, les matches, et toutes les compétitions en général, pour sortir la hache de guerre et immiscer l'idée de conflit permanent dans les esprits des citoyens de leur pays – parce qu'il est quasiment impossible d'éradiquer une idée ou un concept une fois qu'il s'installe dans le cerveau.

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Le sport espagnol s'est considérablement développé pendant les premières décennies du XXe siècle. Malgré le fait qu'il restait une activité principalement accessible aux riches – étant donné qu'ils étaient les seuls à avoir le temps de le pratiquer – , les activités sportives se sont diversifiées petit à petit au cours des années 20 et 30.

La sélection espagnole qui a remporté l'argent aux Jeux olympiques d'Anvers en 1920. Image vía WikiMedia Commons.

Le succès de l'équipe de football espagnole aux Jeux Olympiques d'Anvers en 1920 a été une démonstration du potentiel de croissance du pays. Quinze ans plus tard, en 1935, le gouvernement de la Segunda Republica a créé un corps de lois spécifique et a fondé la Commission Nationale d'Éducation Physique, organisme destiné a réguler et promouvoir l'activité sportive du pays. La guerre civile a tout fait échouer.

Pendant la période allant de 1936 à 1961, la dictature s'est assurée d'estomper les valeurs propres au sport pour les substituer par celles du régime. L'éducation physique est ainsi devenue une méthode de propagande en plus, un moyen d'atteindre le fameux citoyen "parfait" de la philosophie fasciste classique – "l'homme fonctionnel" de Mussolini ou le "surhomme" hitlérien, avec toujours dans le tas la composante ethnique. Au moyen d'outils comme le Front de la Jeunesse, la Section Féminine et le Syndicat Espagnol Universitaire, le sport s'est plus orienté vers la préparation de potentiels membres de l'armée ou de la Phalange que vers la formation d'individus sains.

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L'image physique a été utilisée comme système de propagande. Il s'agissait de créer une mythologie émotive pour les classes moyennes qui serve de mur pour cacher le conflictuel et transformer la réalité en une image d'unité, d'ordre et de hiérarchie.

Fernández Nares, S. "L'éducation physique dans le système éducatif espagnol". Université de Grenada, 1993.

Le régime devait prendre le contrôle de l'éducation physique pour pouvoir la plier à ses exigences. Pour cela, il a créé le 22 février 1941 un organisme qui au départ portait le "modeste" nom de Délégation Nationale des Sports de la Phalange Traditionaliste et des J.O.N.S. (Juntes Offensives Nationales Syndicalistes). Plus tard, il sera connu sous le nom de Délégation Nationale d'Éducation Physique et des Sports et intégrera d'autres institutions qui existaient déjà avant la guerre comme le Comité olympique espagnol, le Conseil national des sports et la délégation espagnole du Comité olympique international.

Une image métaphorique : le lieutenant-général José Moscardó semble être un personnage important devant ces ruines. Moscardó a été nommé président du Comité olympique espagnol et délégué national des sports pour récompenser ses services rendus aux putschistes lors de la révolte militaire. Image vía Wikipedia Commons.

L'intérêt de Franco pour le sport existait principalement à des fins de propagande, un simple moyen de pouvoir manipuler ses citoyens. Étant donné la popularité du football, le franquisme a décidé qu'il pouvait l'utiliser comme une arme de plus et lui a dévoué la majorité de son investissement. En pratique, cela signifie que les autres sports étaient à peine mentionnés.

Dans ces circonstances, le système sportif d'après-guerre s'est inévitablement réduit à un petit organe autosuffisant et mal organisé qui était financé avec l'argent provenant des loteries. Comme il fallait s'y attendre, cela a eu pour conséquence qu'il était impossible de pratiquer les autres sports faute d'installations. Le seul sport qui a continué de se développer était le football, irréductible.

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De la même manière que d'autres idéologies totalitaires, le franquisme a été obsédé par l'image véhiculée par l'Espagne hors des frontières. Les Jeux olympiques de Londres de 1948 – connus comme "les Jeux de l'austérité" à cause de l'état dans lequel se trouvait la capitale britannique après la Seconde guerre mondiale – et ceux d'Helsinki de 1952 ont été des opportunités parfaites de montrer les "muscles" du nouveau régime. Mais les athlètes que Franco a envoyé au Royaume-Uni et en Finlande étaient principalement des mannequins : le soutien qu'il leur avait apporté pour s'entraîner avait été faible, voire inexistant.

Le délégué national aux sports, le général José Moscardó – qui avait dirigé l'école d'Éducation Physique de Tolède avant la guerre civile et qui avait par la suite été promu au rang de Délégué National aux Sports suite à sa coopération au moment du soulèvement – a prononcé un discours devant les athlètes espagnols le 19 juillet 1948, juste avant le voyage pour Londres. Son contenu est assez révélateur.

José Moscardó (deuxième en partant de la droite) avec des collègues, dont Ramón Serrano Suñer (deuxième en partant de la gauche) connu pour être un parent de l'épouse de Franco (premier en partant de la gauche), et du nazi Heinrich Himmler. Image vía WikiMedia Commons.

« Tout sportif espagnol doit donner son meilleur rendement à Londres, quelle que soit l'épreuve, et doit faire briller nos qualités raciales de courage, d'enthousiasme et d'énergie à tout moment », a déclaré Moscardó. Notez l'insistance sur les présumées « qualités raciales », caractéristiques des fascismes qui avaient été défaits dans les autres pays après la Seconde guerre mondiale.

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« Là où notre performance peut être sublimée, j'espère que va surgir en vous l'Espagnol courageux, enthousiaste, avec la persévérance admirable que nous, les Espagnols, avons dans tous les moments difficiles de la vie, nous devons défendre l'Espagne », a assuré l'ancien général, et il a alors ajouté des propos encore plus révélateurs du peu d'espoir réel qu'avait le régime : « Si ça se passe comme ça, peu importent les résultats obtenus sinon la manière honorable avec laquelle on aura triomphé, puisque dans le sport, ne pas gagner n'est pas synonyme de défaite ».

En résumé : le franquisme voulait donner une image de grandeur, mais était en réalité conscient qu'ils allaient parfaitement se foirer. Comme par hasard, le seul sport où ils ont remporté une médaille a été l'équitation : les jockeys Jaime Garcia Cruz, Marcelino Gavilan Ponce de Leon et Jose Navarro Morenes ont obtenu la médaille d'argent au saut par équipe. On dit "comme par hasard" parce que, bon, l'équitation était le sport préféré de Moscardó.

À Helsinki, les résultats ont été similaires : une médaille d'argent, mais cette fois-ci pour Ángel León González, qui pratiquait le tir au pistolet. Sans vouloir manquer de respect à personne, on peut dire que ni le tir au pistolet ni l'équitation ne sont les sports les plus populaires des Jeux olympiques, même si en revanche, ils étaient représentatifs de l'absurdité du régime en place : des tirs et des chevaux. A l'époque, les problèmes en Espagne restaient les mêmes : le manque d'argent pour envoyer les athlètes en Finlande et le manque d'athlètes préparés – mais ça leur était égal, l'important était que l'Espagne soit représentée, là-bas où tous ses petits amis allaient.

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En vérité, Franco avait très peu d'athlètes à sa disposition : trois pour la sélection espagnole d'athlétisme (pour les épreuves d'endurance et, le cas échéant, pour le 400 mètres) ; sept pour la Fédération espagnole d'aviron ; le légendaire Joaquim Blume, unique représentant de la Fédération espagnole de gymnastique ; deux tireurs de ball-trap et deux autres pour le tir ; une équipe complète de water-polo et leurs remplaçants (qu'ils recyclaient comme nageurs aussi si besoin) ; et en équitation, un total de 15 chevaux.

Finalement, la délégation espagnole est arrivée à Helsinki avec un total de 27 sportifs accompagnés du délégué olympique Rafael Sanchez-Rosenlindt ainsi que de leurs entraîneurs respectifs, leurs préparateurs physiques, leurs médecins, etc – que des hommes, évidemment. Le bilan qui s'en est fait a été étrange : « Oui ça s'est très mal passé...mais il y a eu pire que nous ».

Même si dans certains sports on attendait un meilleur résultat, l'Espagne a fini à la 41e place, avec beaucoup de pays derrière elle.

Bulletin officiel de la délégation nationale aux sports, 1952.

La vérité c'est que l'Espagne est arrivée aux Jeux de Londres et d'Helsinki sans athlète vraiment préparé, et comme il fallait s'y attendre, les résultats ont été assez pathétiques. Le manque des ressources et le peu d'intérêt authentique montré par les autorités pour le sport a obligé le régime à faire croire qu'ils y étaient allés « pour participer ».

Comme si de rien n'était, dans une démonstration de ses inclinations idéologiques, la délégation espagnole a salué les autorités militaires – spécialement à Helsinki – et a visité les cimetières pour rendre hommage aux héros nationaux de chaque pays… avec l'espoir que la religion catholique dissimule le vrai visage du régime oppresseur. En interne, les autorités ont rejeté la cause de ces échecs sur les arbitrages et autres facteurs, fortifiant ainsi l'union entre les citoyens.

***

En découvrant tout ça, j'ai petit à petit commencé à comprendre le pourquoi du comment de mon cauchemar – au delà, j'insiste, de la mauvaise bouffe du mercredi –. La médaille, le miroir, la voix, la prétention, le « le plus important c'est de participer »… tout était une grande allégorie de la misère d'un régime obligé de faire semblant pour garder la main sur ses citoyens. Au final, la célébration et le sport n'étaient pour le régime nationaliste catholique pas plus que des méthodes utiles de répression.

Comme quand t'es obsédé par une chanson qui te trotte dans la tête toute la journée et que la solution est de l'écouter, mon enquête a donné réponse à mes interrogations sur le cauchemar franquiste. Par contre, pour je ne sais quelle raison, le mal-être est resté. Je me suis inévitablement demandé si on avait tant changé depuis ce temps, si on comprend enfin le sport avec noblesse, si on a arrêté de l'utiliser comme un rideau de fumée pour couvrir d'autres problèmes.

Au final, quand je me suis réveillé, Gollum était toujours là avec sa médaille.