VICE FRCA - SPORTSRSS feed for https://www.vice.com/fr/topic/sportshttps://www.vice.com/fr%2Ftopic%2FsportsfrThu, 02 Nov 2023 08:10:50 GMT<![CDATA[Préserver son amour du foot quand celui-ci est gangréné par la merde]]>https://www.vice.com/fr/article/epvqvm/ce-que-le-football-est-devenu-jerome-latta-editions-divergencesThu, 02 Nov 2023 08:10:50 GMTComme je l’ai évoqué dans un récent article concernant mon rapport au « supportérisme modeste », je n’ai jamais vibré lors de grandes affiches. Que suis-je censé ressentir en voyant des formations avec lesquelles je n’ai aucun lien, au sein desquelles il y a un turnover de malade et qui, parfois, sortent magiquement de nulle part simplement grâce à l’impulsion intéressée d’un milliardaire saoudien ou américain ? En plus, le fait de suivre la sélection japonaise et deux clubs de divisions inférieures (et en faillite) ne m’a donné d’autres choix que de développer une étrange affection pour les issues dramatiques.

Comprendre (avec les moyens intellectuels limités que je possède) comment fonctionne le foot en tant que machine néolibérale donne raison à cette distance que j’entretiens avec l’élite du foot. Plus les années passent, moins je trouve de prises auxquelles m’accrocher, alors que j’aime sincèrement ce sport. Je dégueule à chaque fois qu’on me parle de la FIFA, j’ai des envies de meurtre quand je vois la Coupe du monde au Qatar se dérouler parfaitement malgré les innombrables morts sur les chantiers des stades et j’ai même ressenti bien pire quand celle de 2030 a été présentée – ce sera la première à se dérouler sur trois continents différents.

Je ne vois plus que le fric et du vomi.

Et encore, je n’ai connu ce monde qu’à l’orée des années 2000, soit à un moment où le foot a déjà bien été chamboulé par l’avènement des droits télés : les chaînes sont progressivement devenues payantes, les horaires des matchs ont été reconfigurés pour augmenter l’offre télévisuelle, etc. Même au niveau de l’expérience de jeu, la télé a morcelé ce qu’on en vit, en mettant le focus sur la performance individuelle captée par les nombreuses caméras, loin de ce qu’on voit de nos yeux quand on va au stade. La télé a transformé le foot en un spectacle émotionnel en 4K à des fins mercantiles. Désormais, l’économie entière de la discipline repose sur les diffuseurs et le profit. 

Mais si le foot est vidé de son essence, que reste-t-il pour nous transcender ? J’ai posé la question – parmi d’autres – à Jérôme Latta, journaliste indépendant, cofondateur et rédacteur en chef des Cahiers du football, et auteur de Ce que le football est devenu : trois décennies de révolution libérale, publié aux éditions Divergences (les couvertures les plus jolies du monde littéraire). 

Dans son livre, l’auteur cite notamment Jonathan Liew, journaliste du Guardian : « La Premier League n’est-elle pas devenue l’équivalent footballistique de la City de Londres : un terrain de jeu non régulé pour les super riches du monde entier, jetant par les fenêtres l’argent des autres tout en prétendant fournir au public un service essentiel ? Ce n’est pas votre monde et il n’a plus aucun vrai lien avec votre vie, mais en y mettant le prix, vous pouvez prendre une chaise et vous asseoir au fond pour regarder. » 

Le foot n’est effectivement plus un bien commun, il se fait progressivement moins populaire, les clubs riches deviennent de plus en plus riches et les grandes instances anéantissent ce qu’il reste de son âme pour la vendre aux plus offrants. Alors, comment préserver son amour du foot quand celui-ci est gangréné par le fric et la merde ?

VICE : Comment vous avez vécu la création du marché des droits de télé dans les années 1990 ?
Jérôme Latta
: En France, la diffusion payante de football s’est imposée au moment du lancement de Canal+, qui avait basé son modèle économique sur le sport et le cinéma – et un peu la pornographie aussi. Ça a constitué un bouleversement assez sensible : on pouvait accéder à un nombre de matchs beaucoup plus important qu'auparavant. Avant ça, la diffusion du foot s’inscrivait dans une économie de la rareté, il y avait très peu de matchs diffusés – des matchs de Coupe d’Europe, de Coupe du Monde, de l’équipe de France… Là, très vite, plusieurs matchs ont été disponibles chaque semaine.

Ce qui était nouveau aussi, c’est qu’il fallait acquérir un abonnement et un décodeur pour accéder à tous ces matchs. Mon père s'était abonné le jour même où devait être diffusé un match de Saint-Étienne, dont on est supporters. Ça avait été un achat d’impulsion qui s’était avéré très durable parce que, pendant longtemps, Canal+ était incontournable comme diffuseur principal du football. Puis, ils ont eu des concurrents qui ont permis de valoriser les droits de télévision du championnat de France. 

« Là où il devrait y avoir un débat et l’exposition de voix dissidentes et critiques, c'est dans les médias sportifs spécialisés. Mais ils ne s'emparent pas du tout de ces sujets, et expriment même une forme d’embarras. »

À ce moment-là, les clubs français redoutaient cette nouveauté ?
C’est vrai que pendant très longtemps, dans les années 1960/1970, quand les moyens techniques de diffusion de matchs ont été disponibles, les clubs professionnels étaient extrêmement réticents parce qu’ils étaient persuadés que ça allait vider les stades. Comme les diffusions étaient très rares, quand un match était diffusé, les clubs constataient une petite baisse d’affluence, parce qu’évidemment, la diffusion télévisée constituait un événement en soi. Mais ce qui a changé les perceptions, c’est que le montant des droits pour ces diffusions est devenu beaucoup plus significatif avec l’arrivée d’opérateurs comme Canal+. Ça a changé la réflexion des clubs puisqu’ils ont pu considérer que cette manne leur était suffisante pour compenser les éventuelles baisses de recettes de billetterie. En plus, à cette époque, les affluences étaient assez médiocres dans les stades français. 

Mais à plus long terme, ils ont constaté que l’exposition médiatique du football contribuait à sa visibilité et donc renforçait son pouvoir d’attraction. Plus tard, dans les années 1990, et surtout au lendemain de la Coupe du monde 98, il y a d’ailleurs eu un bond très significatif des affluences dans les stades. Il y a donc eu un changement de réflexion dès lors que les droits de télévision sont devenus substantiels et que les avantages économiques excédaient les inconvénients et les baisses hypothétiques des recettes de billetterie. 

Justement, la Coupe du monde sert de levier pour les instances du foot et les partenaires commerciaux, non ? On dirait que ces événements sont devenus les plaques centrales de la dérégulation. 
La Coupe du monde a été l’une des premières compétitions diffusée à l’échelle mondiale. On peut même dire que c’est elle qui a amorcé la médiatisation massive du football – à une époque, en plus, où le football de sélection était considéré comme étant d’une qualité supérieure au football de club, ce qui s’est sensiblement inversé au cours des dernières décennies. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, le développement de la Coupe du monde a suivi le développement économique de l’industrie du football dans son ensemble. Elle incarne la tendance au gigantisme des grands évènements sportifs mondiaux. Il y a eu une augmentation progressive du nombre de participants, qui se prolonge à des niveaux alarmants – on va passer, pour la prochaine édition 2026, de 32 à 48 équipes. Cette croissance s’exprime aussi dans le fait qu’il devient de plus en plus difficile pour un seul pays d’accueillir l’événement, ce qui pousse à une co-organisation. En 2026, on aura une Coupe du monde dans trois pays, avec des distances considérables entre les villes hôtes au Canada, au Mexique et aux États-Unis. Et en 2030, on va avoir une Coupe du monde sur trois continents, ce qui montre le peu de souci de la FIFA pour les considérations écologiques, avec un bilan carbone qui continue de s'accroître – après le Mondial au Qatar qui avait déjà battu les records. 

Cette croissance illustre aussi la cupidité de la FIFA, qui se soucie d’abord de l’augmentation de ses ressources plutôt que de l’équilibre de la compétition, de ses impacts et de son coût économique et environnemental. Parce qu’évidemment, quand on augmente le nombre de participants, on augmente le périmètre des droits de télévision et on revalorise les droits de diffusion, ce qui enrichit la FIFA. La FIFA présente le prétexte du développement du football dans un plus grand nombre de pays, mais on comprend bien que les motivations principales relèvent d’un intérêt économique et géopolitique : plus le président de la FIFA satisfait un grand nombre de pays, plus la situation électorale lui est favorable. C’est dans cette démarche de double conquête que s’inscrit la croissance de la Coupe du monde. 

Quelque part, l'hypertrophie des compétitions de nations, qu'on constate pour la Coupe de monde comme pour l'Euro, c'est l'un des symptômes mais ce n'est pas le principal de la financiarisation croissante de l’industrie du football. La FIFA et l'UEFA suivent le mouvement et trouvent leur intérêt dans cette croissance au travers de la hausse de leurs revenus, alors qu'on pourrait souhaiter qu'en tant que gouvernements du foot, qu’elles aient un souci de réguler, de modérer et d'équilibrer la croissance de cette industrie. 

Face à tout ça, on est dans l’impuissance totale. On voit que ça produit toujours plus d'inégalités mais j’ai l’impression qu’on pardonne tout au monde du foot, même si on sait que, en tant que public, on y perd. On arrive très peu à politiser ces évolutions, les enjeux…
La difficulté, c'est d'arracher les amateur·ices de foot de leur statut de consommateur·ices auquel tous les acteurs économiques ont intérêt à les réduire. On a vu, à l'occasion de la Coupe du monde 2022, une sorte de sentiment d'impuissance quant aux moyens de protester contre le gâchis environnemental, le mépris des droits humains que contenait cette Coupe du monde. Il y a eu des tentatives de boycott, mais c'est une arme qui semble assez obsolète aujourd'hui et qui s’est en tout cas avérée inefficace, d'autant plus que la capacité d'attraction d'une Coupe du monde reste extrêmement forte. Quand il y a eu le fiasco du lancement de la Super Ligue en avril 2021, on a constaté qu'il y avait une opposition très forte aux évolutions les plus préjudiciables de ce football financiarisé, avec une explosion de protestations, des discours très critiques formulés, des termes précis désignant la nature de ces phénomènes d’oligarchie des clubs qui s'accaparent l’essentiel des ressources… Autant de choses, connues depuis des décennies, mais qui n’émergeaient pas dans le débat public. Mais la difficulté qu'on a constatée à ce moment-là, c'est que derrière, il n'y avait pas d'opposition qui se consolidait ni d'espace de débat pour envisager des réformes, des manières de réguler, d’encadrer, ou simplement de réfléchir à ces évolutions. 

Aujourd'hui, le principal pôle de résistance est incarné par les groupes de supporters, les ultras en particulier, qui sont très marginaux dans l'espace public et qui sont en plus stigmatisés à travers des amalgames avec le hooliganisme. Leur discours n'est malheureusement pas assez entendu. En parallèle, là où il devrait y avoir un débat et l’exposition de voix dissidentes et critiques, c'est dans les médias sportifs spécialisés. Mais ils ne s'emparent pas du tout de ces sujets, et expriment même une forme d’embarras. Pendant l'épisode de la Super Ligue, les médias sportifs avaient désavoué cette tentative de sécession mais sans réelle suite derrière, dans la mesure où quelques mois après, on célébrait l'arrivée de Messi au PSG et le retour de la Ligue des Champions alors que cette compétition est un des éléments les plus problématiques des évolutions du football. 

En tant que journaliste et supporter, comment votre identité footballistique a évolué en marge de ces dérives ? 
Ça pose des dilemmes de plus en plus difficiles, du moins quand on entretient une forme de conscience politique vis-à-vis des évolutions du football et qu'on a envie de défendre un tout autre modèle. Ça suscite aussi des contradictions. Encore une fois, à titre d'exemple, la Coupe du monde 2022 : on avait envie de désavouer cet événement et, en même temps, on avait envie de la suivre. Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui évacuent ces contradictions et qui prennent le parti de continuer à se passionner pour le foot et ses compétitions en laissant tomber un voile sur tous les problèmes que ça soulève. Mais il y a une autre tranche d'amateur·ices de foot pour qui les contradictions deviennent trop grandes et qui s’en détachent complètement ou se tournent vers d'autres formes de football – foot amateur, foot féminin, etc. –, des endroits où leur passion n'est pas aussi altérée que dans le football de haut niveau.

« Finalement, les amateur·ices de foot, réduit·es au statut de consommateur·ices, n'ont pas voix au chapitre. »

La Viva World Cup, les ligues amateures, les clubs engagés comme le Ménilmontant FC, tout ça ? 
Oui, on constate une forme de vitalité au niveau du foot amateur au travers de clubs militants notamment, qui vont s'inscrire dans certaines luttes comme l’accueil des migrant·es ou les droits LGBTQ+, par exemple. Ils représentent des expériences assez marginales par rapport à l’ensemble du monde du football mais ils ont la vertu de proposer une alternative concrète et de porter un discours critique envers les évolutions du football de haut niveau. Il y a aussi des clubs professionnels qui proposent des contre-modèles un peu militants. En Europe, on a Sankt-Pauli, le FC Union Berlin, le Red Star à Paris… Ce sont des clubs qui préservent leur identité très populaire. En Espagne, le Betis Séville a un programme écologique très ambitieux. Ça permet de faire émerger un discours critique. C'est difficile d'évaluer leur influence parce qu’ils sont relativement isolés, mais ils contribuent à problématiser les évolutions et, par contraste, de souligner les travers du football. Comme je le disais juste avant, on peut aussi trouver – ou retrouver – son bonheur d'amateur·ice de foot dans le football féminin parce qu’il est à un stade de développement moins avancé sur le plan économique. On va donc vivre des ambiances très différentes dans les stades et retrouver une forme de « fraîcheur ». Ce sont des modèles qui peuvent nous rapprocher des valeurs qu'on souhaite attribuer au football et au sport en général. 

En ce qui vous concerne, quels aspects du foot de haut niveau vous retiennent encore dans ses filets ?
Il y a d'abord le fait que, et quelque part c'est le drame du football, le foot, malgré ses dérives, reste un sport extraordinaire et que son pouvoir de séduction ne diminue pas. Il augmente même, au travers de ce foot très spectaculaire qui concentre des talents individuels assez extraordinaires. Le spectacle reste très attractif, puissant et séduisant. Peut-être même plus qu’avant. On reste partagé entre écoeurement et envie de suivre la Ligue des Champions, une Coupe du monde ou un Euro. Il a trois manières de gérer ses états d'âme : soit on les évacue, soit on vit avec, soit on se tourne vers les alternatives plus innocentes et exemptes de toutes ces altérations.

Donc, en gros, la dérive néolibérale du foot permet de produire un spectacle encore plus grandiose qui nous tient encore mieux en otage ? 
Oui, l'image est assez juste. On est aliéné à notre passion. On est contraint de mettre entre parenthèses nos scrupules, nos aspirations éthiques, humanistes ou simplement notre envie que l'intégrité des compétitions soit respectée. Tant que le combat n'est pas lancé et qu'il n'y a pas de vrais débats politiques sur les évolutions du foot, le sentiment d'impuissance dominera. Toute la difficulté, c'est de trouver des moyens qui ne sont pas encore à disposition, de contester ces évolutions et de ne plus être spectateur·ices – au propre comme au figuré – de ces décisions. Finalement, les amateur·ices de foot, réduit·es au statut de consommateur·ices, n'ont pas voix au chapitre et c'est l'un des grands enjeux d'éventuelles transformations positives du football.

Il faut changer les modes de gouvernance, à la fois des clubs et des instances sportives, en donnant voix au public du football – les supporters, les supporters ultras, les téléspectateur·ices, les spectateur·ices qui vont au stade. Il faudrait imaginer des modes de gouvernance qui les représentent à la fois au sein des clubs et au sein des instances. Il y a des évolutions ponctuelles dans ce sens mais on reste très loin d'une représentation satisfaisante des amateur·ices de foot alors qu'ils sont les consommateur·ices de cette industrie, mais sont aussi le produit vendu par cette industrie au travers des droits de diffusion. Finalement, un diffuseur, quand il achète des droits de diffusion, acquiert un public d'abonné·es, des client·es. Pour l’avenir, cette question de gouvernance est centrale, pour ne plus laisser le public du football en dehors du jeu. 

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<![CDATA[Aux Championnats du monde de lutte dans la sauce gravy]]>https://www.vice.com/fr/article/y3w5k7/world-gravy-wrestling-championships-lutte-sauce-gravyMon, 02 Oct 2023 09:45:47 GMT« Si t’aimes la sauce, fais-moi signe ! » Cette phrase est sortie tout droit de la bouche d’un candidat répondant au doux nom de Pyrexeler (oui, comme le plat qui va au four). Question déguisement, le mec a tout donné : son costume est un pot rouge, la fameuse sauce Gravy en granulés de la marque Bisto, célèbre outre-Manche. Son couvre-chef s’ouvre sur de véritables granulés qu’il jette ensuite avec ferveur sur la foule, comme une jeune mariée au sortir de l’église.

Vous vous demandez peut-être où je suis. Eh bien, sachez que je me trouve actuellement au nord du Royaume-Uni, dans un village du Lancashire, pour assister au World Gravy Wrestling Championships, soit les Championnats du monde de lutte dans du « Gravy », une sauce riche à base de jus de viande et adorée des britanniques. Ma présence ici tient du miracle : j’habite Londres, je n’ai pas le permis, c’est un jour férié et le réseau ferroviaire est en grève. Cela dit, j’ai quand même réussi à trouver le moyen de faire les cinq heures de trajet. Personne ne pourra donc douter de mon dévouement à couvrir un événement absurde, et personne ne pourra – encore moins après lecture de mon compte-rendu – contester le fait que cet événement était, en effet, absolument absurde.

world gravy championships un lutteur couvert de sauce gravy
Photo : Bekky Calver​

Si cette sauce brune et juteuse sert d’habitude à enduire des rôtis, on n’a clairement pas le temps pour ça ici. Dans l’arrière-cour du pub The Rose N’Bowl à Stacksteads, 1 500 litres de sauce chaude sont déversés sur un ring où seize hommes et huit femmes vont s’affronter pendant deux minutes de lutte acharnée – on ne peut que supposer que cette répartition inégale s’explique par le fait que la bêtise n’est pas toujours un concept facile à vendre. Les participant·es doivent porter des déguisements et tous les bénéfices seront reversés à l’association East Lancashire Hospice – à l’exception d’un prix de 50 livres sterling (58 euros) pour la première place masculine et féminine.

Le pub lui-même est plus rempli que les six barils de sauce qui attendent patiemment à côté du ring en forme de piscine gonflable, mais j’arrive à me frayer un chemin jusqu’au jardin arrière, juste à temps pour la parade costumée. Les lutteur·ses se pavanent sur le ring, réagissant aux applaudissements du public et aux commentaires chaotiques d’un homme armé d’un micro. « Des seins, des couilles, des fesses, et ils seront bien visibles, croyez-moi ! », lance-t-il dans son micro portatif. J’avise un homme en slip de lutte sur lequel on peut lire « Bisto ». « Mais c’est un TicTac ! », s’écrie le commentateur de cet événement prétendument familial. Il n’y a pas d’échauffement, si ce n’est une interprétation maladroite de YMCA qui me met franchement mal à l’aise.

world gravy championships - un homme avec un béret
ANDREW HOLT, L’ORGANISATEUR DE L’ÉVÉNEMENT. PHOTO : BEKKY CALVER​

Cet événement annuel a vu le jour il y a une quinzaine d’années sur un parking. Il s’agissait d’un « coup de pub raté pour un festival gastronomique », m’explique Andrew Holt, organisateur de l’événement. Il porte des petites lunettes couvertes de sauce et un béret. D’un coup, le voilà qui enlève ses dents. Pensant qu’il s’agit d’une urgence dentaire accidentelle, j’ai un peu pitié. Mais il me rassure en me montrant que c’est un accessoire comique et que s’il le retire, c’est simplement pour pouvoir me parler correctement. On revient à l’histoire du championnat. Après une première série de luttes en sauce réussie, le concours a été reconduit chaque année et déplacé à l’arrière du pub. Depuis, il est considéré comme un moyen marrant de collecter de l’argent pour une œuvre caritative tout en se foutant sur la gueule.

La sauce utilisée sur le ring est fabriquée dans l’usine de boudin noir de la famille Holt et transportée dans six fûts de 200 litres chacun. « Ce job, on ne peut pas le prendre au sérieux, il faut le prendre avec une pincée de sel », me dit Andrew en riant. Je termine mon interview par cette question, sans doute la plus nulle du monde, mais néanmoins légitime : « Comment vous faites pour nettoyer tout ça ? » Eh bien, figurez-vous que ce sont les pompiers locaux qui s’en chargent. Bah oui.

Les combats en eux-mêmes ont été plus chaotiques qu’un Black Friday sur une artère commerçante. Le résultat ? Un mélange de tableaux burlesques et de scènes qui n’avaient rien à envier aux shows de la WWE. Deux noms sont annoncés et les lutteurs sélectionnés chauffent le public avant le début de leur combat. La plupart d’entre eux semblent avoir des routines presque chorégraphiées, mais restent pourtant catégoriques sur le fait qu’ils n’ont jamais rien répété auparavant. Point de vue musique, ça va de Yakety Sax (cette petite rengaine classique des scènes de poursuite) à Eye of the Tiger. Mais le véritable héros, c’est bien l’arbitre. Très souvent cible des plaisanteries, il est malgré lui impliqué dans de nombreux combats. Heureusement, il réussit à survivre aux trois heures et demie de lutte sur ce ring glissant.

world gravy championships
Photo : Bekky Calver​

« J’ai décidé de faire 40 choses folles cette année parce que je vais avoir 40 ans », m’explique la finaliste Lauren Bricknall, dont le nom de lutte est Ocean Fury. « Je promets que si je gagne, je fais un combat en cage officiel. Et c’est pas des paroles en l’air ». En semaine, elle travaille avec des personnes ayant des besoins particuliers. Elle se bat aujourd’hui pour soutenir une association caritative en faveur de l’autisme. « Je suis pas du genre à me battre, mais une fois sur le ring, je me dis juste qu’il faut y aller », ajoute-t-elle.

Le choix des gagnant·es dépend de règles encore plus floues que celles qui ont visiblement permis le choix d’un animateur tout à fait inapproprié. Je suis d’ailleurs surprise que personne n’ait essayé de l’assommer après des commentaires du style « T’as jamais fait ça, pas vrai ? Parce que je me serais souvenu de toi » asséné à l’une des participantes juste avant d’annoncer qu’il se battrait avec son mari pour l’avoir. Une meuf qui aurait pu jouer la doublure d’Angelina Jolie a ensuite eu droit à une bonne vieille séance de body shaming, mais assez parlé de lui comme ça.

world gravy championships
Photo : Bekky Calver​

Certaines règles semblaient avoir été inventées sur le moment, comme lorsque Moody Cow a été disqualifiée pour avoir entraîné l’arbitre avec elle. Bizarrement, d’autres concurrent·es ayant fait exactement la même chose sont passés au tour suivant. Au fil de la journée, j’ai fini par capter que plus un·e candidat·e offrait de divertissement, plus les points pouvaient tomber. Un lutteur a même été introduit comme The Cranberry King. « Il a un jour trouvé le plus long poil de téton du monde », a ajouté l’animateur, tandis que le King en personne courait autour du ring, rayonnant de fierté.

La souplesse de certain·es compétiteur·ices était également impressionnante – des saltos arrière, des saltos avant et quelques plaquages intenses, directement sur leur adversaire au sol. Le chaos le plus complet a éclaté lorsque deux lutteurs n’ont pas réussi à contenir leur combat dans l’enceinte du ring. On les a vus glisser comme des limaces, essayant de se faufiler à nouveau sur scène pour terminer le round.

world gravy championships - public
Photo : Bekky Calver​

En tout cas, on peut dire que la fameuse Gravy a pris ses aises. J’avais de la sauce là où je n’aurais jamais voulu en avoir. Mon jeans ne s’en est toujours pas remis. Alors que je tentais d’interviewer les candidat·es, j’ai été douchée à plusieurs reprises d’un mélange de transpiration et de sauce tandis que les coupables essayaient de prendre la fuite aussi vite que possible afin de se faire arroser par les pompiers. En leur parlant, j’ai d’ailleurs remarqué que la plupart des lutteur·ses étaient dans un état proche du délire.

« On s’est inscrit pour rigoler, mais maintenant il me reste 52 semaines pour me préparer à la prochaine édition », m’a déclaré un concurrent juste au moment où son compagnon, vêtu d’un drapeau mexicain, bondissait à ses côtés. « Je suis un homme très heureux, je me suis enfui de Tijuana », a crié cet énergumène avec un étrange accent, vraisemblablement mexicain. En guise de réponse, l’interviewé initial s’est mis à scander « USA, USA, USA ! » à plusieurs reprises, jusqu’à ce que son pote quitte l’interview en disant qu’il n’arrivait plus à respirer. Le drapeau, trop serré au niveau de son cou, a finalement dû être détaché par un infirmier. Dans le chaos de l’instant, je n’ai pas pensé à leur demander leurs noms.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin, même les orgies les plus juteuses. À la fin, Ravin Gravy (Nathan Kendall) et The Bacup Bavarian (Patina Bury) ont été déclaré·es vainqueur·es et une somme incroyable de 5 444 livres sterling (6 300 euros) a été récoltée pour le East Lancashire Hospice. Malheureusement, la foule en liesse avait consommé tellement de sauce et de frites qu’il ne restait plus rien pour moi – mais disons que j’en avais assez sur mon jean.

world gravy championships deux lutteurs
LE DUO CHAOTIQUE EL BISTO & GRAVY SEAL. PHOTO : BEKKY CALVER​
world gravy championships
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world gravy championships
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world gravy championships portrait d'un lutteur
Photo : Bekky Calver​

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<![CDATA[Être grosse et faire du sport : dépasser l’hypocrisie de la société]]>https://www.vice.com/fr/article/n7ejj8/etre-grosse-et-faire-du-sportMon, 03 Apr 2023 07:41:03 GMTÀ l'aube de mes 34 ans j'ai pris une décision anodine pour bien des personnes, mais moins pour moi : je me suis inscrite à une salle de sport dans mon quartier. Marre d'avoir constamment mal au dos (le boulot derrière un ordinateur, l'anxiété qui crispe les muscles) et perdu mon endurance physique depuis le premier confinement (l'ultra sédentarité, un des poisons dans nos vies), envie de me prouver que j'étais capable d'honorer un abonnement mensuel et même y prendre goût. Je ne regrette toujours pas cette décision et désormais je ne me vois pas vivre sans mes deux séances par semaine, à entretenir mon cardio, me bétonner les abdos nécessaires à soulager mon dos (ils sont bien dissimulés mais ils sont bien là !) et me coucher avec la rare certitude de bien dormir. Qu'est-ce qui fait que cette idée a été une telle cause de questionnement pour moi ? Parce que je suis grosse.

Les personnes grosses ont souvent une relation conflictuelle avec le sport. Les cours de sport laissent des souvenirs humiliants et la conviction profonde que nos corps ne sont qu'une surcharge laide. Les médecins, la famille et la publicité nous rappellent continuellement qu'il faut maigrir sous peine de mourir d'une crise cardiaque d'ici cinq ans, mais lorsque Nike met en vitrine des mannequins plus-size une journaliste rédige un article méprisant les femmes grosses pour qui ces vêtements sont proposés. Une personnalité conservatrice tweete à ses deux millions d'abonné·es que non, boire de la Gatorade pendant sa séance de yoga n'est pas « healthy », avec en illustration une femme grosse en équilibre sur la tête. Cet homme aurait-il eu la même réaction devant la vidéo d'une personne mince buvant la même boisson pendant son entraînement ? Question rhétorique, bien sûr.

Cette femme dont il a relayé l’image n'est pas n'importe qui : Jessamyn Stanley, professeure de yoga et autrice américaine aux 468 000 abonné·es sur Instagram, où elle se présente comme « la Beyoncé du yoga » – à raison. Après avoir découvert le yoga Bikram en 2011, elle commence à pratiquer régulièrement deux années plus tard. Dans une interview pour The Cut en 2015, elle explique comment elle a trouvé sa place sans avoir le « corps typique de yoga » (mince, blanc et valide) et que les studios de yoga devraient être plus accessibles aux personnes en dehors de cette norme. Il faut vraiment avoir l'esprit encrassé par les stéréotypes grossophobes pour écrire en public sur un réseau social que Jessamyn Stanley n'est pas « healthy » alors qu'elle arrive à tenir en Sirsasana comme si c'était une posture facile. Or cette dernière exige énormément de souplesse et de force musculaire. Tout le poids du corps repose sur la tête et les avants-bras, il faut veiller à ne pas s'abîmer les cervicales pendant l'effort. Rien à voir avec la Gatorade.

Jessamyn Stanley me rappelle que si je n'arrive pas à tenir une simple posture de la demi-chandelle ce n'est pas parce que mon bassin est trop lourd pour être surélevé, mais qu'il me faut juste continuer à m'exercer régulièrement. Elle me rappelle que ma morphologie et mon poids ne sont pas des obstacles pour renforcer mes muscles et mon équilibre. Elle me rappelle aussi que de trop nombreuses personnes sont incapables d'envisager qu'on puisse être grosse et sportive, qu'elles doivent vraiment arrêter de nous imposer leurs conseils non-sollicités au sujet de notre hygiène de vie réelle ou supposée, et de chercher à nous humilier en public comme si on était encore à l’école.

Mon expérience ne vaut que pour moi et les personnes à la corpulence semblable à la mienne. Je m'habille en 48, parfois un peu plus selon les marques (de sport notamment – l'ironie), je sais où acheter ce dont j'ai besoin sans chercher trop longtemps et sans surcoût significatif. Je dois bien modifier quelques postures pour loger mon ventre et pouvoir respirer correctement lorsque je fais du yoga ou de la barre au sol, sinon tout m'est accessible, du portique d'entrée aux cabines de douche. Quand j'allais régulièrement à la piscine j'avais un peu moins d'appréhensions, probablement du fait d'un cadre moins intimiste et qu'une fois dans l'eau mon corps devenait aussi léger que celui d'une personne mince grâce à la poussée d'Archimède. En m'inscrivant à ma salle de sport je redoutais surtout d'être mal accueillie, par une équipe de coachs qui ne me parleraient que de perdre toute cette vilaine graisse ou par d'éventuels regards et remarques malveillantes de la part des autres membres du club. Rien de tout ça ne m'est jamais arrivé.

Ève, coach dans une salle semblable à celle où j'ai mes habitudes, m'explique avoir appris durant sa formation en alternance « à questionner la personne lorsqu'elle vient visiter la salle pour une éventuelle adhésion ou durant son bilan après son inscription, afin de savoir pourquoi elle décide de venir. On ne déduit pas à sa place qu'elle vient ici pour maigrir. » Elle travaille dans une salle où il n'y a aucun miroir, un dispositif assez répandu au sein des salles de sport actuelles. C'est censé mettre davantage à l'aise une clientèle complexant sur son corps ou ses performances sportives. Je n'ai pas interrogé toutes les personnes que j'ai croisées à la salle ces dernières semaines pour savoir ce qu'elles pensaient de l'absence de miroirs, mais le fait de voir des gens à l'âge et à la morphologie suffisamment variés me fait penser que ça convient au plus grand nombre. Ne pas être la seule personne grosse me rassure toujours (ni la moins jeune, mais c'est un autre sujet).

En plus de dépasser les blocages liés à la grossophobie (tels que « je suis trop grosse pour réussir à faire du sport, à quoi bon », « je vais être ridicule si je suis trop vite essoufflée et transpirante » ou bien « j'ai besoin d'ajustements du fait de mon surpoids et j'en ai honte parce que je ne veux pas être perçue comme ayant un corps invalide »), pour d'autres personnes une véritable adaptation est nécessaire pour pratiquer le sport de leur choix. Les difficultés commencent avant même d'initier le moindre mouvement. « Aucune marque technique de sport ne produit de textiles adaptés à ma taille, 64-66, m’explique Marion, donc j'utilise des tenues qui coûtent cher (surcoût des vêtements grandes tailles), qui s'usent très vite (car non techniques) et qui ne sont jamais vraiment bien faits ni confortables. Trouver un maillot de bain de natation à ma taille est un cauchemar et si j'en trouve un, il ne durera qu'un à deux mois. » Une quête coûteuse en temps et en argent pour cette femme pour qui « le mouvement fait partie intégrante de [sa] vie et de [son] équilibre », et dont le budget mensuel est loin d'être extensible. Un problème commun à de nombreuses personnes grosses : depuis une vingtaine d'années, on observe en France que le surpoids touche davantage les milieux sociaux moins aisés.

Ces temps-ci Marion pratique régulièrement le basket santé, la natation et le yoga. Elle aime aussi marcher en pleine nature et danser. « Le plaisir pendant l'activité est un moteur immense de régularité pour moi. » Un vrai critère quand tout ou presque rend la pratique plus compliquée que pour les personnes minces. En plus de la rareté des vêtements adaptés à sa taille et l'éloignement géographique de certains équipements sportifs (« J'ai la chance d'avoir trouvé un super club de basket santé mais je dois faire 80 km chaque semaine pour m'y rendre »), ce qui lui coûte cher, Marion est également confrontée à des lieux et du matériel qui ne sont pas pensés pour les personnes de son gabarit. « Les machines de musculation ne sont pas prévues pour le volume de mon ventre et de mes jambes, mes bras cognent les rampes sur le tapis de course, les tourniquets à l'entrée de la salle de sport font mal, les échelles de piscine sont trop étroites ou pas assez résistantes sous mon poids, je ne peux pas toujours m'asseoir pour me chausser et déchausser à la piscine, les cabines de vestiaire sont trop exigües, certains sentiers pédestres me sont impraticables, je n'ai encore jamais trouvé de vélo supportant mon poids à un prix abordable et aucun·e vendeur·se spécialisé·e n'a jamais su me guider… Vraiment, la liste est trop longue. »

Il y a toujours quelqu'un pour vous dire – de façon plus ou moins irrespectueuse – qu'il suffit de faire du sport pour maigrir (Le Monde rapporte que 67% des Français·es pensent que perdre du poids est avant tout une question de volonté), mais quand il s'agit de rendre les lieux, le matériel et les vêtements accessibles à toutes les personnes grosses (pas qu'aux small fat comme moi, la grosseur étant un spectre confrontant à plus ou moins de discriminations), il n'y a plus personne.

L'inclusivité est la première motivation de Alice Clerc, professeure de yoga à Paris et en ligne pour les cours de Yogras du collectif Gras Politique depuis plus de deux ans. « C'est quelque chose que j'avais à l'esprit dès ma formation, et sur laquelle je me suis formée encore après, me confie-t-elle. J'ai réussi à parler de l'inclusion des personnes grosses avec une de mes formatrices. Elle m'a juste répondu qu'elle adaptait son travail auprès d'une personne grosse d'après le yoga prénatal. Ça peut effectivement donner des indications mais être grosse ou enceinte c'est tellement différent ! Quand on est enceinte on a peur d'appuyer sur son ventre, tandis qu'une personne grosse veut juste pouvoir faire du sport de façon plus accessible. »

En pratique, Alice prépare environ vingt cours par semaine, en les déclinant en fonction du public. « Pour le Yogras je réfléchis à toutes les options, par exemple pour les personnes qui ne peuvent pas du tout s'appuyer sur leurs poignets ou rester trop longtemps dessus. Je demande toujours en début de cours si une personne a des limitations. Avec l'habitude, je trouve toujours comment adapter. C'est aussi une question d’instaurer un cadre de pratique safe, en rappelant que le cours peut être parfois difficile pour certaines personnes mais qu'il ne faut pas vivre ça comme un échec. » Aux antipodes de l'ambiance rabaissante des cours de sport de notre enfance.

Alice déplore un manque de remise en question globale : « C'est trop lent ! » Elle cite toutefois la Ayu Yoga School et le travail de la professeure de yoga Claire Castagne comme exemples d'enseignement plus inclusif, en particulier pour les personnes grosses, axé sur le plaisir de la pratique et non pas pour maigrir à tout prix, ou se plier tant bien que mal à des cours inadaptés. En espérant que cette manière d'enseigner le yoga, et le sport en général, devienne majoritaire.

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<![CDATA[Être le premier surfeur d’un pays qui n’est pas fait pour ça]]>https://www.vice.com/fr/article/y3v85g/etre-le-premier-surfeur-dun-pays-qui-nest-pas-fait-pour-caTue, 21 Jun 2022 07:50:18 GMTDans notre série « La nouvelle vague », on part à la rencontre de gens qui font le surf en Belgique et on s'essaie à la pratique - soleil ou pas.

Pour les purs produits de la génération Y, dont je fais partie, on a tou·tes eu notre période fan de glisse - que ce soit skate, surf, rollers ou encore snowboard. Bien sûr, je dis bien fan et pas forcément expert·es en la matière. Personnellement, je collectionnais les t-shirts Element et Quicksilver, mes sneakers Billabong puaient l’adolescent rebelle (et bien plus encore) et j’ai dû regarder un bon nombre de fois Lords of Dogtown sans forcément savoir ni m’envoyer des tricks de dingue sur une planche de skate ni surfer de vagues colossales les cheveux au vent. Même sans talent, j’adorais cette communauté, cette vibe de gars et de meufs cools, sexy, plein·es d’insouciance et de liberté. Mais ça m’empêchait pas d’avoir toujours, dans un coin de ma tête, cette éternelle question : « Qui a lancé cette mode ? »

Selon mon incroyable investigation, le ski proviendrait d’une pratique finlandaise-lapone dont on retrouve des traces jusqu’à -9000 av. J.-C. et qui s’est démocratisé dans les années 1960 du côté des pays baltes. Le skateboard s’est quant à lui popularisé dans les années 1960 du côté des États-Unis après s’être développé au début des années 1910 en revisitant le roller, une invention belge (et oui !) - dont le fondateur n’est ni plus ni moins que Jean-Joseph Merlin, également célèbre pour avoir créé les automates. En ce qui concerne le surf, il tire ses origines en Polynésie, d’avant l’ère moderne. Des historien·nes et anthropologues retrouvent des traces de cette discipline traditionnelle qui remontent à la fin du 18ème siècle. Si ça skate dans tous les quartiers de Belgique, le ski et le surf sont des choses qui nous restent bien étrangères.

Même s’il est possible de s’adonner à du ski en indoor en Belgique, ce qui m’a le plus surpris c’est l’existence d’une fédération de surf. Qui dit plat-pays et mer du Nord, ne s’attend pas forcément à voir débarquer une armada de surfeur·ses à Knokke ou à La Panne. Et bien si, et tout ça grâce au travail passionné d’un seul gars, Frank Vanleenhove (59 ans). Le mec est né à Knokke-Heist et, en peu de temps, est passé du statut de simple amateur de barbote dans une station balnéaire de 30 000 habitant·es à légende vivante des sports de glisse. À 13 ans, Frank domptait déjà les éléments sur son lac, derrière la maison de ses parents, à l’aide d’une planche et d’une voile. Par passion, il est devenu l’un des premiers wind surfers en Belgique et a participé au championnat de Belgique en 1980 puis aux championnats d’Europe en 1982 pour se frotter ensuite à la Coupe du monde. Mais ce n’était pas assez pour ce type, qui sentait qu’il y avait mieux à faire avec une planche et de l’eau salée.

Pour VICE, j’ai rencontré Frank Vanleenhove, le mec qui a fait venir le surf en Belgique.

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VICE : Salut Frank, c’est assez rare de rencontrer quelqu’un qui a lancé une discipline, qui plus est quelque chose d’aussi populaire que le surf, t’as découvert ça comment ?
Frank Vanleenhove :
J’ai commencé par faire de la planche à voile et un peu de windsurf sur la plage. J’étais vraiment passionné du coup je faisais des compétitions, j’allais explorer les meilleurs spots. J'ai commencé à voyager dans le monde entier avec mon matériel et lors d'un de mes voyages, j'ai fait escale à Porto Rico. Là-bas, ce qui est un peu délicat, c’est que le vent ne se lève que l'après-midi. Un jour, j'ai rencontré un Américain qui m'a demandé : « Mais du coup, que faites-vous le matin ? » J'ai répondu : « J'attends que le vent arrive je suppose. » Et là, naturellement, il m'a dit : « Demain matin, je vais aller faire du surf, tu peux venir avec moi si tu veux, je t'apprendrai à surfer, comme ça tu feras quelque chose pour tuer le temps. » C'était le début de ma carrière de surfeur, en 1982. Quand je suis rentré à la maison, j'ai commencé à étudier régulièrement les vagues en Belgique. On était loin d’imaginer que quiconque puisse surfer un jour ici. Pour m’entraîner, je suis allé à Biarritz et j'ai acheté une petite planche. On avait un bateau qui nous tractait pour pouvoir prendre les bonnes vagues. Au bout d'un certain temps, le courant nous conduisait vers des petites vagues le long de la plage, qu’on surfait sur quelques mètres.

Et du coup, tu t’es dit que c’était faisable ici aussi, sur des petites vagues ?
En rentrant en Belgique, dès qu’il y avait de la tempête je me jetais à l’eau pour surfer. Quand t’as un sale temps, c’est plus facile de tomber sur des grosses vagues. En 1982, j'ai lancé Surfers Paradise. De base, c’était un endroit pour les véliplanchistes (windsurf, NDLR), mais j'ai rapidement réalisé que le surf était beaucoup trop passionnant pour passer à côté de ça. Les surfeur·ses sont bien plus passionné·es que les gens qui pratiquent le windsurf. Alors j’ai commencé à créer des académies de surf et des surf camps l’été. Par la suite, j'ai organisé les premiers championnats de Belgique. On a parcouru un long chemin mais aujourd’hui, le surf est reconnu comme un sport à part entière en Belgique.

Dans les années 80, y’avait déjà des illuminé·es en Belgique ?
Honnêtement, je pense être le tout premier. Après moi, ça s’est démocratisé. Comme on avait monté un club de surf, j'ai acheté plusieurs planches, je les ai louées et j'ai commencé à donner des cours. Par cette action, on peut dire que ça a participé au lancement officiel du surf en Belgique. À cette époque, je travaillais pour O'Neill Belgique, j'étais vraiment dans le milieu. J'ai invité 10 surfeur·ses de Californie à donner des cours à Surfers Paradise. En face, j’invitais une quinzaine de gosses par semaine à venir prendre des leçons. C'était le début d'une toute nouvelle génération de surfeur·ses belges. Si tu fais le calcul, pendant 10 ans, 15 enfants par semaine, c'est beaucoup. Au cours de cette décennie-là, on a appris à 3 500 enfants à surfer et tout ça pour la promotion de ce sport. Du coup, en collaboration avec la fédération belge de surf, j'ai créé un guide sur la façon d'enseigner la discipline. ? N’importe qui pouvait devenir instructeur·ice en Belgique et à son tour développer tout ça.

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On en est où niveau surf en Belgique aujourd’hui ? Il y a des champion·nes, de nombreuses écoles à Ostende, Knokke, Blankenberg… Comment tu qualifierais le mouvement de nos jours ?
Les surfeur·ses belges sont les plus courageux·ses parce que je pense qu’on a peut-être le pire pays du monde pour le surf. Une côte plate et droite, 60° max d’inclinaison, pas d'îles, rien pour créer des vagues, l'Angleterre prend toute la houle de l'Atlantique, la houle du nord ne vient pas jusqu’ici, elle s’arrête plus haut, aux Pays-Bas. Les surfeur·ses, ici, méritent vraiment d'avoir une reconnaissance particulière. Comme tu le dis, y’a du surf partout sur la côte belge, à Knokke-Heist, à Ostende, à Blankenberg, à Zeebrugge, à Bredene. T’as des magasins où tu peux acheter tout ce dont t’as besoin, de l'équipement, des planches… Il y a 20 ans, t’avais pas toute cette offre. Maintenant il y a toute une communauté, des compétitions ; notre équipe de surf à Surfers Paradise s’appelle les Young Guys et, pour te faire une idée, on regroupe plus de 60 membres dans l'équipe. L'un de mes principaux objectifs, c’est de voyager dans le monde entier et de visiter tous les spots les plus célèbres. Ces dernières années, le sport a explosé. Rien qu’à Ostende, la plus grande ville de la côte, les jours où il y a des vagues, tu peux avoir 200 surfeur·ses dans l'eau qui attendent la vague, c’est incroyable.

À force de voyager pour voir ce qui se fait de mieux ailleurs, tu dirais que c’est quoi les meilleurs spots du monde ?
J'aime découvrir, j’essaye de ne jamais retourner au même endroit. Mais je dirais que depuis 30 ans que je surfe, il y a un endroit où je retourne toujours, c'est les îles Mentawai. C'est un groupe d'îles au sud de Sumatra, en Indonésie. La seule façon de s'y rendre, quand j'ai commencé, c’était de prendre l'avion, puis un bateau qui t’emmenait sur l'île. La seule chose à faire c’est dormir, manger et surfer. La qualité des vagues est fabuleuse, l'eau est à 30°, l'air à 35° et il n'y a personne. Chaque année, les deux premières semaines d'octobre, je prends une équipe de 10 personnes, on réserve un bateau et on surfe pendant 12 jours. Quand on revient, on est tellement fatigué·es qu’on peut plus bouger nos bras. Sinon, ce que j'apprécie, c'est la Nouvelle-Zélande, l'Australie et la Californie. Là-bas, on sent que ça vit pour le surf. Il y a une ambiance généralisée, les gens vivent au rythme de la mer. À 6 heures du matin, avant d'aller au boulot (qui commence généralement à 9 heures), les gens vont surfer et je peux te dire qu’il y a beaucoup de monde dans l'eau. Pareil après le travail, à 17 heures, ils vont tous surfer avant de rentrer chez eux. Et la vue avec le coucher du soleil est incroyable.

Et les meilleurs spots en Belgique ?
Le fait est qu'en Belgique, il n'y a que de la houle de vent, des vagues causées par le vent. Les jours de grosse tempête, si tu veux avoir les meilleures vagues, tu dois être là à temps. Quand le vent tombe et que la marée est basse, c'est difficile. Il y a des spots en Belgique comme Ostende ou Blankenberge, près d’un port, qui sont vraiment intéressants. Si tu surfes à côté d’un port, t’es un peu à l'abri du vent et les vagues peuvent être meilleures. La raison pour laquelle j'ai créé Surfers Paradise c’est qu'en face de notre local, y’a une petite jetée et un banc de sable au fond de l’eau. Quand j'étais jeune, je me souviens, c'était l'endroit où les vagues étaient vraiment grosses, elles venaient de très loin, plus loin qu’ailleurs, c'est pourquoi j'ai choisi ce spot pour commencer. Je pense qu'en général, s'il y a une tempête, Ostende et Blankenberge restent les meilleurs coins parce que t’auras de très bonnes vagues et tu seras protégé du vent.

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Frank et Keith Haring

Reste que ç’a l’air assez compliqué dit comme ça…
Tout d'abord, si ça peut te rassurer, la côte est identique où que l’on aille. Il n'y a pas de dangers, il n'y a pas de coraux au fond, c'est juste du sable ; c'est un endroit plutôt sûr avec des vagues homogènes plus ou moins partout. C'est donc facile de surfer et d'apprendre. Je dis souvent que si l’on apprend à surfer en Belgique, on peut surfer partout dans le monde. Ça semble un peu simpliste mais c'est vrai. Quand on s’aventure dans des endroits sans trop de vent ni de grosses vagues, c’est plus facile de pagayer et de nager, de s'asseoir sur sa planche et de décoller.

En Belgique, les vagues peuvent se casser à tout moment, il faut avoir de la chance pour être sur le bon spot. Si tu veux apprendre à surfer en Belgique, il faut aller dans un club de surf qui a un·e bon·ne instructeur·ice, une bonne combinaison de plongée - parce que t’as presque TOUJOURS besoin d'une combinaison de plongée - et une bonne planche. Le surf, ça s’apprend pas sur de petites planches mais sur celles qui sont adaptées à la taille. Si t’apprends à surfer sur une petite planche, ça sera beaucoup plus lent et fatiguant que sur un longboard qui est adapté à ton corps et aux vagues de Belgique.

Par mail, tu me disais que t’étais en train de construire la première piscine à vagues de Belgique. C’est quoi ce projet ?
Ça fait maintenant 12 ans que je suis l'évolution des piscines à vagues dans le monde. J'ai visité toutes les piscines à vagues qui existent déjà sur cette planète. J'ai visité les prototypes qui sont en train d’être construits. Il y a déjà 7-8 piscines à vagues qui sont exploitées commercialement. Il y en a 200 à 300 autres qui sont en cours de construction en ce moment.

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Je crois que j’ai eu la chance de voir quelque chose de similaire à Munich où les gens surfent une vague artificielle sans fin, c’est plus ou moins de ça que tu parles ?
Pas du tout. À Munich, c'est une standing wave. Ici, je te parle d'un immense lac avec une machine en dessous qui crée de vraies vagues. Tu peux ramener de vraies planches de surf et pagayer comme en mer. Si t’arrives à prendre la vague tu peux surfer plus ou moins sur 100-200 mètres. Actuellement, je travaille avec des ingénieur·es et des entreprises belges, ainsi qu'avec les universités de Gand et de Louvain pour développer ça. En avril, on va remplir notre prototype d'eau et en mai, on commencera à produire les premières vagues. Mais c'est une piscine d'essai. Cette piscine ne sera pas encore exploitée car c'est juste un équipement-test. Grâce à la ville de Knokke-Heist, on peut l’exploiter comme ça pendant 2 ans. L’idée finale, c’est de construire une piscine à vagues qui sera accessible à Knokke-Heist pour tou·tes les surfeur·ses.

Ça c’est du progrès technique… Et à part ça, t'as l’impression qu’il y a des évolutions dans le milieu du surf, que les choses changent avec le temps ?
Le changement le plus visible est le même que partout ailleurs : on est trop dans ce monde. Il y a trop de gens qui surfent, beaucoup sur les mêmes spots. Le surf est devenu de plus en plus populaire, tout le monde veut en faire. C'est un peu le contre-coup de sa démocratisation. J'ai voyagé dans des régions du monde où je devais prendre l'avion, faire un voyage de 30 heures au total, en Papouasie-Nouvelle-Guinée par exemple. Tu voyages jour et nuit pour arriver à destination, tu penses que tu seras seul au monde, et non. Il y a déjà quelqu'un qui surfe sur les vagues. D'un autre côté, en tant que parent, je pense que si t’arrives à apprendre le surf à tes enfants, iels seront heureux·ses et conscient·es.

Quand on se met au surf, on apprend tout un tas de codes : on apprend à respecter l'océan, à respecter la plage. Pour faire du surf, il faut être fort·e mentalement, il faut avoir du caractère, parce qu'au début, tu vas tomber 100 fois mais il ne faut pas abandonner. Si tu baisses les bras trop vite, le surf n'est pas fait pour toi. Le plus important c’est d'être en forme, de pouvoir pagayer dans les vagues et d'arriver sur le line-up. Si tu manges pas sainement et prends pas soin de ton corps, tu ne seras pas en mesure de supporter tout ça, crois-moi. Si t’apprends à tes enfants qu'il est important de faire des étirements, de garder un bon équilibre avec son corps et de respecter son environnement, iels seront de très bon·nes surfeur·ses et de bons humains.

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<![CDATA[En Afrique, le trafic de jeunes footballeurs est un éternel fléau]]>https://www.vice.com/fr/article/y3vjm7/en-afrique-le-trafic-de-jeunes-footballeurs-est-un-eternel-fleauWed, 20 Apr 2022 08:03:37 GMTChaque année, plus de 6 000 jeunes footballeurs africains arrivent en Europe avec l’espoir de décrocher un contrat et de démarrer une carrière professionnelle.

Ces chiffres, publiés par l’organisation caritative Foot Solidaire, ne représentent pourtant que la partie émergée de l’iceberg. Ils ne tiennent en effet pas compte des jeunes qui se rendent dans d’autres continents avec le même but en tête.

Talentueux et ambitieux, ces garçons (souvent âgés de 14 à 21 ans) n’ont généralement pas conscience des risques que comporte leur aventure. Pour beaucoup d’entre eux, le rêve de devenir le prochain Samuel Eto'o ou Didier Drogba tourne vite au cauchemar.

L’ensemble des autorités africaines rejette la responsabilité de ce trafic sur de faux agents qui profiteraient de la vulnérabilité des joueurs. Ces acteurs de l’ombre font souvent partie d’un vaste réseau d’individus peu recommandables qui gravitent dans la sphère du football. Dépourvus de toute licence valable, ils apparaissent néanmoins authentiques.

Aux familles et tuteurs des aspirants footballeurs, ils vendent des histoires de réussite merveilleuse. Malgré leur sens critique, ces gens finissent par être éblouis, comme Cheikhou Ndiaye de Dakar, au Sénégal, dont le jeune fils a été attiré au Portugal et n’est toujours pas revenu.

« J’ai reçu un appel d’une personne qui voulait me voir à propos de mon fils, Bouba », raconte Ndiaye à VICE. « L’homme au bout du fil m’a dit qu’il avait observé mon garçon, qu’il était très doué et promis à un avenir brillant. J’ai accepté et il est venu chez moi accompagné d’un autre type. Ils avaient tous les deux la trentaine et l’air élégants. Ils étaient sénégalais, mais prétendaient vivre en Europe ».

« Ils sont allés à l’ambassade avec mon fils et sont revenus avec un visa sur son passeport. J’ai été choqué et impressionné par la rapidité de l’opération. » - Cheikhou Ndiaye

Les hommes ont montré à Ndiaye, sa femme et son frère des preuves irréfutables du succès potentiel de leur fils — des papiers, des cartes d’identité, des photos et des vidéos de jeunes joueurs africains déjà basés en Europe.

« Après deux autres rencontres, ils m’ont fait payer 2,8 millions de francs CFA (plus de 5 000 euros), que j’ai pu réunir en vendant mon unique parcelle de terrain », raconte Ndiaye. « Ils sont allés à l’ambassade avec mon fils et sont revenus avec un visa sur son passeport. J’ai été choqué et impressionné par la rapidité de l’opération. Il n’est pas facile d’obtenir un visa européen au Sénégal. »

« Ils sont ensuite partis pour le Portugal. Au bout d’un mois, mon fils m’a appelé pour se plaindre qu’il n’avait toujours pas eu d’essai avec un club et qu’il vivait avec un vieil homme dans une petite maison. Il m’a aussi raconté que ses agents lui avaient remis des papiers et avaient disparu trois jours après son arrivée. C’était en 2019. Depuis, nous n’avons plus de nouvelles de notre fils. Nous ne savons pas s’il est encore en vie. Nous prions tous les jours. »

Selon l’Association de Football du Sénégal, des centaines de cas similaires se produisent chaque année dans le pays. L’instance affirme s’inquiéter de plus en plus de la sécurité de ces jeunes victimes.

Certains, comme Bouba, le fils de Ndiaye, finissent par perdre tout contact avec leurs familles, ce qui soulève des questions quant à leur survie. D’autres retournent finalement dans leur pays pour recommencer à zéro, comme Seydou Kabore du Burkina Faso, qui a été parrainé par sa famille pour aller à Marseille par l’intermédiaire d’un autre agent de l’ombre.

« Nous avons donné 2,5 millions de francs (5 000 euros) à l’agent. Il m’a obtenu un visa de six mois, mais n’a pas voyagé avec moi », raconte-t-il à VICE. « J’avais 18 ans à l’époque. Quand je suis arrivé à Marseille, un jeune homme blanc m’a emmené dans une grande maison où j’ai rencontré d’autres jeunes Noirs aspirants footballeurs. Certains venaient d’Afrique centrale, d’autres d’Afrique de l’Ouest et de l’Est. Ils m’ont tous dit avoir payé beaucoup d’argent, comme moi. »

Les jeunes hommes ne recevaient à manger qu’une fois par jour. La police française, qui a fait deux descentes dans la maison, a emmené ceux qui n’avaient pas de visa valide ; Kabore a entendu dire qu’ils avaient finalement été expulsés. Un mois plus tard, alors que les essais promis ne s’étaient toujours pas concrétisés, il a appelé le numéro de téléphone figurant sur la lettre d’invitation de son agent.

« Le club m’a demandé de leur donner le numéro de référence inscrit en haut de la lettre et lorsque je l’ai fait, ils m’ont dit que la lettre ne venait pas d’eux », explique-t-il. « À deux semaines de l’expiration de mon visa, j’ai décidé de rentrer dans mon pays. Ça a été une expérience déchirante qui m’a obligé à abandonner mon rêve de football. J’ai 25 ans maintenant, et je suis sans emploi. Ce que j’ai fini par comprendre, c’est que nous avons été aussi naïfs que nos familles. »

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DES MIGRANTS ET DES RÉFUGIÉS MANIFESTENT DEVANT LE B TIMENT DE L’UNHRC EN TUNISIE POUR RÉCLAMER DE MEILLEURES CONDITIONS DE VIE ET DES DROITS D’HÉBERGEMENT EN EUROPE. PHOTO : TASSNIM NASRI/ANADOLU AGENCY VIA GETTY IMAGES

Les observateurs et les experts ne cessent de reprocher aux associations de football africaines de ne pas en faire assez pour éduquer et protéger les jeunes. Ils affirment en outre que les parents et les tuteurs devraient faire leurs devoirs avant de laisser leurs proches s’enfuir avec des agents véreux. Malheureusement, ce n’est pas toujours aussi simple.

Bassirou Sakho, agent FIFA enregistré auprès de la Fédération anglaise de football et cofondateur de l’agence Playmaker Sport, exhorte les fédérations africaines à publier le nom des agents accrédités sur leurs sites web respectifs afin de faciliter la vérification.

« Ce que je voudrais surtout dire aux parents, c’est de ne jamais donner d’argent à un agent. Les agents sont payés lorsque le joueur signe un contrat, jamais avant. » - Bassirou Sakho

« La plupart des parents de ces jeunes garçons sont analphabètes. C’est difficile pour eux de faire les recherches nécessaires. Si les noms des agents affiliés sont disponibles sur les sites web des FA, ça aiderait évidemment les familles à vérifier l’authenticité de la personne qui vient chercher leur fils. Mais ce que je voudrais surtout dire aux parents, c’est de ne jamais donner d’argent à un agent. Les agents sont payés lorsque le joueur signe un contrat, jamais avant. »

Certaines fédérations affirment faire de leur mieux pour endiguer le trafic de joueurs, mais les parents et les tuteurs ne leur rendent pas la tâche facile. Les règlements de la FIFA n’encouragent pas les transferts internationaux de joueurs de moins de 18 ans, sauf dans certaines conditions. Pourtant, ces jeunes prodiges continuent de voyager « avec la bénédiction de leurs familles », affirme Augustin Senghor, président de la fédération sénégalaise.

« Personne n’aime ce phénomène. Nous sommes tous contre. Mais comment ces jeunes obtiennent-ils leurs visas ? Ils ont une autorisation parentale, dûment légalisée. Certains modifient même leur âge pour ne pas paraître trop jeunes. Les familles ne viennent jamais nous voir pour demander de l’aide. La seule chose qu’elles voient, c’est le futur succès de leur garçon dans un grand club en Europe. Nous avons organisé plusieurs campagnes de sensibilisation, “arrêtez de donner de l’argent aux agents”, et pourtant l’argent continue à transiter de mains en mains. C’est dommage. »

« On a attendu les essais pendant des mois, en vain, et on a fini par comprendre qu’on avait été piégés. » - Charles Ngah

Un autre responsable de la FA compare la situation du trafic de football à la fuite de capital humain ou à la fuite des cerveaux, ce qui, selon lui, pourrait finir par affecter les ligues nationales en Afrique. « Aucun jeune joueur ne veut jouer ou rester dans les ligues locales. Ils veulent tous aller en Europe dès que possible et c’est la raison pour laquelle ils sont facilement victimes des criminels », déclare Malick Tohe de la Fédération de football de Côte d’Ivoire.

Il y a un nombre croissant de plaintes concernant le trafic de joueurs vers d’autres destinations et territoires que l’Europe, comme l’Afrique du Nord et les pays du Golfe. Certains joueurs d’Afrique subsaharienne terminent leur voyage en Tunisie, au Maroc ou en Égypte. D’autres vont jusqu’aux Émirats arabes unis, au Qatar et même à Bahreïn, où ils se retrouvent bloqués et en danger.

Charles Ngah vit en Tunisie depuis 2013. Il a quitté son pays, le Cameroun, aux côtés de six autres aspirants footballeurs. Après avoir payé 750 000 francs chacun (1 500 euros) à une agence apparemment légitime à Yaoundé, ils ont été abandonnés à Tunis.

« Je jouais dans un club de division 2 au Cameroun lorsque les agents m’ont approché et invité dans leur bureau. J’y ai aussi rencontré d’autres jeunes footballeurs », raconte-t-il à VICE. « L’agence avait l’air authentique. Ils avaient une licence, encadrée et accrochée au mur. On nous a promis des essais avec l’Espérance Tunis [le plus grand club de football de Tunisie] ».

« On a fait le voyage, on est arrivés et on a été logés dans un chouette hôtel pendant une semaine. Puis on nous a demandé de quitter les lieux pour nous installer dans un appartement. Là, j’ai rencontré des Nigérians et des Ghanéens, qui prétendaient tous avoir payé 400 000 Naira (1 000 euros) et 7500 Cedis (1 200 euros) pour arriver ici. On a attendu les essais pendant des mois, en vain, et on a fini par comprendre qu’on avait été piégés. »

Après avoir été mis à la porte de l’appartement pour loyers impayés, Ngah dit que le groupe s’est dispersé, à la recherche de tout moyen de survie.

« Certains d’entre nous ont trouvé des emplois dans la restauration ou comme agents de ménage, tandis que d’autres sont restés sans emploi. Nous louions des chambres en groupe. Il y a moyen de trouver de petites chambres et d’y mettre sept ou huit garçons », raconte-t-il. « Le plus gros problème, c’était les papiers et comment rentrer chez nous. En Tunisie, si vous dépassez votre visa ou votre permis de séjour, vous devez payer des amendes pour les jours, les mois ou les années supplémentaires avant d’être autorisé à quitter le pays. »

« Même si vous êtes le prochain Lionel Messi, aucun club ne vous écoutera. Ils insistent tous pour passer par le bon canal, le transfert depuis votre club local vers leur équipe. » - Stephan Kimani

Selon les autorités, des milliers de personnes originaires de pays d’Afrique subsaharienne — dont des footballeurs désabusés — seraient bloquées dans la région d’Afrique du Nord, sans aucun moyen de rentrer chez elles puisqu’elles ne peuvent pas payer les amendes qui s’accumulent au fur et à mesure que leur séjour se prolonge.

« L’ambassade de Côte d’Ivoire en Tunisie a dû organiser plusieurs voyages de rapatriement pour ceux qui appartiennent à cette catégorie. Pourtant, chaque mois, des garçons continuent d’y aller », affirme Tohe.

Alors que leurs rêves de jouer à un niveau professionnel s’éloignent avec le temps, certains joueurs sont parfois tentés de chercher un autre sens à leur vie.

« Je suis devenu père de deux enfants ici en Tunisie, comme beaucoup de mes pairs. Certains se forment à la fabrication et à la pose de briques ou de tuiles. À ce moment-là, vous vous retrouvez dans une situation plus compliquée qui vous oblige à peut-être abandonner votre rêve. C’est la vie que nous vivons tous ici », déplore Ngah.

Ces récits poignants sont à peu près identiques dans le Golfe, où les règles d’immigration peuvent sembler plus souples que dans certains endroits d’Afrique du Nord. Toutefois, il est quasiment impossible d’entrer dans un club ou même d’obtenir un essai sans une invitation dans les règles, affirme Stephan Kimani, un Kenyan qui a passé dix mois au Qatar sans succès.

« Même si vous êtes le prochain Lionel Messi, aucun club ne vous écoutera. Ils insistent tous pour passer par le bon canal, c’est-à-dire le transfert depuis votre club local vers leur équipe. Là-bas, les fausses invitations organisées par des agents véreux pourraient vous attirer des ennuis. »

D’après les fonctionnaires, comme Tohe, il est nécessaire de mener des campagnes de sensibilisation agressives pour lutter efficacement contre le trafic de joueurs. Mais aussi longtemps que miroitera la promesse d’un énorme salaire en Europe, il y aura toujours des personnes qui choisiront de nuire à ceux qui rêvent de suivre les traces des meilleurs joueurs africains.

Kingsley Kobo est sur Twitter.

Cet article a été publié dans le cadre d’une collaboration entre VICE et GOAL.

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<![CDATA[Dans le monde bronzé des bodybuilders professionnels]]>https://www.vice.com/fr/article/4awvmm/dans-le-monde-bronze-des-bodybuilders-professionnelsThu, 09 Dec 2021 07:54:20 GMTLe bodybuilding professionnel est un sport impitoyable. Le rapport effort/récompense est complètement déséquilibré : les heures interminables passées dans la salle de gym à vous sculpter selon les normes de compétition sont rarement compensées par une récompense financière. À moins que vous ne soyez Mr. Olympia, vous repartirez probablement chez vous avec quelques dollars et un petit trophée de pacotille que vous pouvez trouver dans votre magasin de sport local.

Mais au milieu du brouhaha des Championnats internationaux d'Allemagne, une compétition organisée chaque année par l'Association allemande de bodybuilding et de fitness, le photographe berlinois Nikolas-Petros Androbik a rencontré des bodybuilders souriants et à l'air positivement béat.

Androbik n'était pas présent en tant que photojournaliste à proprement parler, mais en tant que personne fascinée par les physiques exposés et le dévouement nécessaire pour les atteindre. « C'est incroyable ce que ces gens réalisent », nous lance-t-il, ajoutant qu'il ne peut s'empêcher d'être impressionné par « leur discipline, leur endurance et leur concentration », même s'il trouve la quantité de viande que le culturiste moyen consomme quotidiennement quelque peu discutable.

Androbik était également présent pour encourager son ami Sven Georgewitsch, qui participe régulièrement à des compétitions de bodybuilding. C'était une bonne journée pour Georgewitsch, qui est reparti avec le premier prix dans la catégorie physique classique. « J’étais très heureux pour lui », dit son ami photographe.

Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography - Composite image. Photo on left is a brunette female body builder holding a gold trophy, photo on the right is a female bodybuilder wearing high heels performing an exercise using elasticated rope backstage at the competition.

Androbik dit qu'il s'est assez vite lassé de ce qui se passait sur scène, alors il s’est dirigé vers l'entrée arrière, jetant un coup d'œil dans les coulisses jusqu'à ce qu'on finisse par le faire entrer. « Ils étaient tous super gentils », dit-il.

De loin, il admet avoir été intimidé par ces énormes montagnes de muscles à l'air très sérieux. De près, toutes les personnes qu'il a rencontrées étaient ouvertes et amicales. « Ils étaient contents que quelqu'un prenne des photos un peu différentes. »

Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography -
Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography - Two bronzed bodybuilders, cropped from the neck down, pose for the camera with gold trophies in their hands.

Androbik utilise le flash pour éclairer les corps avec des détails ultra-HD impitoyables. Ce procédé, associé à la peinture corporelle en bronze dont s'enduisent les concurrents avant de monter sur scène, leur donne l'apparence de divinités de la Grèce antique.

Il dit qu’il était facile de photographier les sujets en coulisses, car le travail difficile se fait sur scène. Ces gens-là restreignent leur régime alimentaire et s’entraînent pendant des heures, des jours, parfois même des semaines. Tout repose sur ces quelques instants sous les projecteurs. C'est pourquoi tous ceux qu’Androbik a photographiés en coulisses lui ont adressé un sourire, pense-t-il – parce que leur travail était terminé.

Plus de photos ci-dessous :

Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography - Composite image of three muscular and tanned older men.
Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography - Close-up image of muscular and veined torso and arms, skin is extremely bronzed.
Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography - Four female bodybuilders in bikinis stood in a line.
Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography -
Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography -
Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography - Two bronzed bodybuilders, cropped from the neck down, pose for the camera with gold trophies in their hands.
Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography - Composite image. Photo on left is a brunette female body builder holding a gold trophy, photo on the right is a female bodybuilder wearing high heels performing an exercise using elasticated rope backstage at the competition.
Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography - Composite image: photo on the left is a smiling female bodybuilder, photo on the right is a smiling male bodybuilder.
The smiling chap on the right is the photographer's friend Sven.
Nikolas-Petros Androbik, bodybuilding, photography - Row of headless, bronzed, women line up wearing sparkling bikinis.

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<![CDATA[Ce que ça fait d’être la seule femme trans dans le sport automobile]]>https://www.vice.com/fr/article/epnywp/ce-que-ca-fait-detre-la-seule-femme-trans-dans-le-sport-automobileFri, 12 Nov 2021 09:11:20 GMTC’est vers l’âge relativement tardif de 23 ans que Charlie Martin, qui a aujourd'hui 40 ans, a décidé de poursuivre une carrière de pilote de course. Dès la fin de ses études universitaires, sans le soutien financier classique associé au sport, elle a économisé environ 1 700 euros grâce à un job d'été et a emprunté un peu moins de 500 euros à sa mère pour s'acheter une Peugeot 205 déglinguée. C'est avec cette voiture remise au goût du jour qu'elle a participé à sa première course professionnelle en 2006.

Martin a réalisé qu'elle était trans dès son plus jeune âge mais a attendu d’avoir la trentaine pour changer de sexe. Elle se sentait en conflit avec le fait de ne pas être suffisamment « trans », sans parler du fait même d'exister et de travailler dans un secteur où la représentation des LGBTQ+ est quasi nulle.

En 2011, alors que sa carrière était bien engagée, Martin a réalisé que quelque chose devait changer. Après avoir traversé une mauvaise période de dépression et de pensées suicidaires, elle a décidé d'entamer sa phase de transition. Elle avait déjà traversé de nombreux moments difficiles dans sa vie, ayant perdu son père à l'âge de 11 ans et sa mère à 23 ans, tous deux victimes d'un cancer.

Mais faire son coming out en tant que trans dans une industrie qui acceptait à peine les femmes n’a pas été chose facile. Incertaine de l'accueil qu’on allait lui réserver, elle a abandonné ce sport pendant un moment avant de reprendre la compétition. En 2018, elle a fait son coming out en public et depuis, elle fait campagne pour les droits des personnes trans dans le sport. 

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Charlie Martin lors du Championnat Britcar Endurance. Photo : Oliver Fessey

Aujourd'hui, Martin vit dans les Midlands, au Royaume-Uni, et passe la plupart de son temps à s'entraîner pour les courses et à aller à la salle de sport. Elle milite également pour les droits LGBTQ+ dans les milieux sportifs et espère être la première personne trans à participer aux 24 heures du Mans. Entre-temps, elle a participé à diverses courses d'endurance et s’est classée troisième au circuit Bugatti en 2017. Elle est aussi la première personne trans à avoir participé aux 24 heures du Nürburgring en 2020. 

Nous avons discuté avec Martin de son statut d’athlète trans, des lois transphobes en vigueur aux États-Unis et au Royaume-Uni, et de la visibilité de la communauté trans aux Jeux olympiques de cette année.

VICE : Salut Charlie. Comment s’est passée ton enfance ?
Charlie Martin :
Enfant, j’étais fan de Top Gun et je voulais être pilote de chasse. J'étais obsédée par les avions. J’ai pris conscience que j'étais trans vers l’âge de six ou sept ans, après avoir lu un article sur Caroline Cossey, une femme trans qui a été mannequin et James Bond girl dans les années 1980. Elle était alors l'une des personnes trans les plus en vue. Je me suis dit que c'était précisément ce que je ressentais, et que je n'étais donc pas seule. À part ça, j'étais un petit garçon « typique » à bien des égards : j'aimais grimper aux arbres, jouer avec des soldats de plomb, construire des modèles réduits d'avions.

Comment as-tu vécu ta transition dans l'industrie du sport automobile ?
La course automobile est un environnement particulier. Même si c’est un sport plutôt exclusif (il faut en effet une bonne somme d'argent pour participer à une compétition, quel que soit le niveau des courses), il est également assez accueillant. Il y a un incroyable sentiment de communauté.

Mais lorsque je suis arrivée dans le paddock pour la première fois après ma transition, je me suis sentie vraiment mal à l'aise. C'était affreux. Heureusement, mes amis dans le milieu étaient là pour me soutenir. Mais j’ai aussi remarqué que certaines personnes avaient du mal à me comprendre. C'est un problème auquel j'ai dû faire face pendant pratiquement toute la première année : expliquer pas à pas ce qui se passait, éduquer les gens dans un environnement où ce type de sensibilisation était très faible. 

Y a-t-il eu des moments où tu as eu l'impression que l'environnement de la course n'était pas adapté à une personne trans ?
Quand j'ai fait mon coming out, c'était un véritable acte de foi. Je ne viens pas d'une famille aisée et j'ai toujours dû travailler dur pour obtenir le soutien des sponsors. On m'a certainement refusé des opportunités. Et dans certains cas, la raison était probablement transphobe. Je risque d’avoir des ennuis si j’entre dans les détails, mais disons qu’il s'agissait de personnes de haut niveau. Il y a aussi les gens indiscrets qui vous posent des questions très personnelles sur le type d'opération que vous avez subie ou que vous envisagez de subir. 

Cette année, l'Idaho et la Floride, aux États-Unis, ont interdit aux filles trans de participer à des compétitions sportives féminines dans les écoles et les universités. Que penses-tu de ce genre de restrictions ?
Je trouve absolument déconcertant que cela se produise dans une société occidentale soi-disant libérale. En pratique, cette loi légitime la discrimination, l'idée que ces jeunes ont quelque chose qui ne va pas. C'est mal sur tous les points.

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Charlie Martin à côté d’une Praga R1. Photo : Dominic Fraser.

Que penses-tu du traitement médiatique des athlètes transgenres, comme l'haltérophile néo-zélandaise Laurel Hubbard ou la star du football canadien Quinn ?
Les intentions étaient bonnes, mais il y a encore du travail à faire pour améliorer la description des faits, des données et de la réalité. J’ai lu beaucoup d’études et de recherches sur la testostérone, car je pense qu'il s'agit d'un point essentiel qui, malheureusement, n'est que très rarement abordé dans la presse. 

C’est un sujet compliqué et il n’y a pas de solution unique. Certains sports, comme le football ou le surf, ne sont pas seulement une question de force physique, mais aussi, par exemple, de capacité à lire le jeu, à comprendre la situation, à percevoir l’espace, etc. La force physique est certainement importante, mais il existe de nombreux autres éléments qui vous placent ou non au sommet d'un sport.

En décembre, la Haute Cour de Londres a interdit les inhibiteurs d’hormones, avant de revenir sur sa décision. Aujourd'hui, il y a beaucoup de transphobie sur la scène politique. Que penses-tu de l'attitude actuelle envers les personnes trans au Royaume-Uni, où tu vis ?
2015 m'a semblé être une année de positivité et de grandes avancées pour la communauté transgenre. Mais depuis, les choses ont changé pour le pire. Je vis à la campagne et ma transition date d’il y a si longtemps maintenant que je passe inaperçue dans la vie de tous les jours et que je n'ai pas à craindre d'être la cible d'insultes et de haine de qui que ce soit. 

Donc je ne peux pas vraiment parler de l'expérience de vie des autres personnes transgenres dans ce pays. Ce que je sais est surtout lié aux nouvelles que je lis dans la presse, qui sont généralement très négatives, toxiques et horribles, qu'il s'agisse d'un meurtre ou de statistiques. Bien sûr, il y aura toujours une minorité bruyante de personnes prêtes à se disputer ou à écrire des choses horribles sur Twitter. Mais la plupart des personnes que je rencontre semblent assez progressistes, gentilles et ouvertes d'esprit. 

Quelles sont tes projets pour la suite ?
J'aspire à entrer dans l'histoire de la communauté LGBTQ+ en devenant la première pilote trans à participer aux 24 heures du Mans. C’est vraiment important pour moi. Je veux faire la différence et essayer d'aider les autres, ne serait-ce que par ma visibilité, pour que ceux qui arriveront après moi n’aient pas à passer par ce que j'ai vécu.

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<![CDATA[Le « sport qui rassemble » est un mythe]]>https://www.vice.com/fr/article/7kva9d/le-sport-qui-rassemble-est-un-mytheWed, 25 Aug 2021 10:15:26 GMTLa sueur a parlé, les larmes ont coulé, les trophées ont été soulevés, les records ont été battus… Et voici venue l’heure de mettre les pieds dans le plat. 

« Le sport rassemble les gens et les peuples » : typiquement le genre de phrase que vous avez déjà entendu au moins une fois dans votre vie, ce à plus forte raison lors de périodes telles que l’EURO ou les Jeux olympiques. À bien des égards, cette phrase inspire quelque peu la même réflexion qu’une autre déclaration du même acabit, et toute aussi connue : « Le rêve américain ». Dans les deux cas, il faut être endormi·e pour y croire. Suffisamment endormi·e pour faire abstraction du cadre général duquel émanent le sport et les compétitions sportives. Endormi·e aussi sur la fonction même que remplit le sport dans la préservation du statu quo social. Et endormi·e quant à la reconnaissance d’une pseudo finalité – à savoir rassembler et unir – qu’apparemment lui seul aurait atteint, là où la société dans sa globalité serait, elle, encore en recherche d’union.

Mais, au même titre que les luttes sociales, féministes, LGBTQIA+ et antiracistes, comment se prévaloir de l’union et/ou de l’inclusion quand celles-ci ne s’expérimentent pas en dehors de moments spécifiques et délimités ? 

Une compétition sportive internationale aussitôt entamée, que s'ensuit notamment d’une part une hausse du trafic d’êtres humains et de l’exploitation sexuelle directement liés à la mise en place de celle-ci, et d’autre part des violences conjugales résultant de l’issue même du dit évènement. Selon une étude réalisée par l’université de Lancaster sur les Coupes du monde de football de 2002 à 2010, les cas de violences domestiques sont nettement plus élevés durant les Coupes et les chiffres sont sensiblement en hausse lorsque l'équipe soutenue perd. Non seulement il y a violences intrafamiliales que l’issue du match soit favorable ou non, mais plus alarmant encore, l’incidence de ces violences lors de championnats internationaux ne fait qu’augmenter d’années en années. Ces compétitions pensées et voulues par un monde sportif résolument capitaliste et dopé à la testostérone se paient cash sur l’autel des femmes et des personnes ayant moins de privilèges.

Aussi, à peine le coup de sifflet final du Championnat d’Europe de football a retenti qu’il a laissé libre cours aux propos infâmes envers ceux qui, la veille encore, nous étaient présentés comme des héros. Sancho, Rashford et Saka qui, à l’instant même où ils n’avaient pas rempli la fonction qui leur est assignée, ont retrouvé, aussi automatiquement qu’instantanément, leur place dans la hiérarchie sociale : des Noirs lambda à qui le statut même d’être humain semble encore parfois pouvoir être dénié et dont on attendrait pourtant d’être des instruments dociles et articulés.

Il en va de même pour la fonction subalterne et récréative à laquelle on entend cantonner les compétitions sportives féminines. Celles-ci étant soi-disant moins compétitives et intéressantes. Le déséquilibre de financement et salarial que les athlètes féminines doivent actuellement subir, s’inscrit tout droit dans les dynamiques de genres et dans l’invisibilisation de leurs accomplissements auxquels les femmes font face dans la société en général.

Manque de représentation

Soyons de bon compte, le sport roi qu’est le football n’a malheureusement pas l’apanage de telles pratiques. La manifestation de la reproduction des stéréotypes se retranscrit de manière toute aussi concrète dans le monde du sport en général que dans la société entière. Sachant que les ressources humaines issues des minorités visibles regorgent dans le monde du sport, l’absence, voire la marginalisation, de coachs, de cadres et de dirigeant·es racisé·es est dès lors encore plus criante et incompréhensible.

Combien de footballeurs noirs compte le palmarès du Ballon d’or ? Un seul, Georges Weah. Combien de directeurs sportifs comme Mababa, dit Pape Diouf, a-t-on vu émerger ? Poser la question c’est déjà y répondre. Ce saisissant et douloureux constat est difficilement explicable sans déterrer les stéréotypes racistes, coloniaux et sexistes (dont nous sommes tou·tes légataires) aussi inconscients qu’opérants, voulant que le genre féminin et certains groupes raciaux sont soi-disant prédisposés à être d’essence physique et non cérébrale, émotionnelle et non intellectuelle, charnelle et non spirituelle, exécutante et non décidante.

Quand la psychophobie rencontre le sexisme

Ce rôle de préservation du statu quo social joué par le sport, ne se borne ni au sexisme ni au racisme. Combien de sportif·ves professionnel·les connaissons-nous dont l’homosexualité a pu se vivre librement pendant (voire même après) leur carrière sans craindre d’être ostracisé·es ? C’est de cette société que le sport tire son essence. Cette même société qui pointe du doigt et essaie de psycho-shame des femmes noires et afrodescendantes telles que Simone Biles et Naomi Osaka lorsqu’elles mettent en lumière une problématique transversale et plus qu’actuelle : la santé mentale. Tour à tour, ces deux athlètes ont fait le choix de prendre soin de leur santé mentale avant de poursuivre les compétitions – la première en refusant de prendre part aux conférences de presse post-match, la seconde en renonçant à participer à certaines épreuves.

Malgré la psychophobie indéniable de notre société, ce n’est pas tant et uniquement la décision d’avoir priorisé leur santé mentale qui leur est reprochée ; c’est quelque chose de plus subversif et impardonnable. C’est bel et bien l’outrecuidance qu’une femme – qui plus est racisée – puisse avoir l’audace de refuser de se soumettre aux attentes, injonctions et autres projections d’autrui sur elle, qui leur est reproché. Ce, à plus forte raison, pour se choisir, se prioriser et honorer ses propres besoins. C’est cette impertinence forte et courageuse que les critiques et autres boucliers levés, entend(ai)ent mater et remettre dans le rang (d’un ordre pourtant établi contre elles et leurs semblables).

Cette idée saugrenue, et somme toute fallacieuse, selon laquelle le sport – et le divertissement dans un moindre mesure – jouerait un rôle (qui plus est prépondérant) dans la lutte contre les inégalités ou les discriminations, témoigne de notre capacité à dépolitiser le débat et à le vider de sa substance. On ne peut continuer de vouloir célébrer et prêcher des valeurs telles que l’inclusion et l’union au travers du sport sans questionner le système même dont il émane et dans lequel il s’inscrit et dont il reproduit mécaniquement les travers. La perpétuation de cette célébration candide est non seulement illusoire et intellectuellement malhonnête, car n’étant pas basée sur des faits tangibles pouvant soutenir une telle affirmation, mais aussi, et surtout, dangereuse puisque reproduisant les principes mêmes d’exclusion et de discrimination dont il proclame être dépourvu tout en cloisonnant les sportif·ves et athlètes issu·es des minorités à des rôles stéréotypés et des fonctions d’éternel·les subalternes.

Nous pouvons et méritons dès lors mieux que de simples déclarations creuses et épisodiques sur l’union des peuples.

Correction : Une version antérieure de cet article contenait une erreur qui a depuis été retirée après un contrôle plus approfondi. Nous regrettons cette erreur.

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<![CDATA[Y’a des trucs de cet EURO 2020 qu’on va préférer oublier]]>https://www.vice.com/fr/article/qj8edx/ya-des-trucs-de-cet-euro-2020-quon-va-preferer-oublierMon, 12 Jul 2021 08:12:30 GMTLe foot aurait-il perdu de sa substance ? Cet EURO 2020 – joué en 2021 – s’est clôturé comme il a commencé : sans qu’on comprenne vraiment pourquoi il a eu lieu. 

Le foot, je l’ai aimé et je l’ai détesté, mais j’en avais surtout oublié son pouvoir suprême : celui de vous vomir dessus, mais de quand même pouvoir vous retenir de force dans ses bras chauds et collants. Et si certaines choses ont pu me séduire et même m’exciter, je quitte cet EURO 2020 avec les intestins qui s’agitent et du gaz qui fuit, beaucoup. Comme si, pendant trop longtemps, j’avais consommé un truc très suspect. 

Voici une liste non exhaustive de ces petites choses qui ont fait cette compétition et qui mériteraient que personne ne s’en souvienne.

Les humoristes à la télé

Je suis pas spécialement drôle. Je le sais et ça n’a jamais été un problème, précisément parce que j’en ai pas fait mon métier. Pour l’EURO, des humoristes se sont fait engager par certaines chaînes pour blaguer foot et ressusciter le public de manière ponctuelle. D’autres ont sorti des chansons. Sauf que les humoristes sont aux monde du foot ce que les happiness managers sont à la start-up qui a rompu votre contrat au début de la pandémie : un additif insipide qui ne changera rien à un environnement faux. Quoiqu’il arrive, les plus beaux comiques, ça reste les commentateurs sportifs et les attaquants-plongeurs.

Cette putain de putain de putain de VAR 

Comme pour les scatophiles, c’est pas grave d’être pro-VAR ; tout le monde a droit à son enveloppe de sécurité ! Mais… où est la spontanéité de l’instant, la subjectivité de l’humain, la magie de l’injustice ? Si l’arbitre ne siffle pas alors qu’il aurait dû, ça doit faire partie du jeu aussi. Sinon, autant remplacer les footballeurs par des robots. En attendant, on va vraisemblablement devoir continuer à exulter à moitié sur les buts… 

En ce qui concerne les fautes, comme on a pu le voir lors d’Angleterre - Danemark, la VAR n’empêche pas les arbitres de prendre des décisions pourries (voir la partie Les comiques du petit rectangle). Prochaine étape : les spots de pub pendant l’analyse des images de la VAR.

Les médias français

Ça cherche la mouise partout (les tensions entre Kylian Mbappé et Olivier Giroud, les tensions entre Kylian Mbappé et le reste de l’équipe, les tensions entre la mère d’Adrien Rabiot et la famille de Kylian Mbappé, etc.), ça parle de Ronaldo et Coca-Cola pendant des jours et des jours et ça bave aussi sur un titre polémique qu’un autre journal a fait (qui est en soi plus marrant que les jeux de mots du type « Rien à foot » ou « La Suisse a le moral en Berne »). 

Les médias belges

On les a vus, les médias belges qui parlent du fait que des médias français parlent de ce qu’ont fait d’autres médias français. 

La pétition pour rejouer le match France - Suisse

Un gars a lancé un appel désespéré, prétextant que Yann Sommer n’était pas sur sa ligne au moment où Mbappé a tiré son peno – ce qui est absolument faux. La pétition a récolté plus de 270 000 signatures – 270 000 personnes qui ont chopé le syndrome du militaire qui pense mourir pour sa patrie, à croire que le combat est légitime alors que le reste du monde rit de vous : en dépit de votre bonne foi, la bêtise vous aveugle. Cela dit, l’espoir fait vivre, et c’est pour ça que les pétitions existent encore.

L’ULM Greenpeace

La vie moderne n’est pas organisée par l’anxiété, mais l’anxiété demeure son fil conducteur. La vue de l’horizon est bouchée par des pensées bordéliques, notamment celles vous rappelant qu’il va falloir payer l’assurance habitation et souscrire une assurance hospitalisation. Si vous travaillez dans les assurances, vous avez beau comprendre comment fonctionnent les assurances, mais pour des raisons évidentes, votre cas est encore pire. Heureusement, il nous restait le mec qui s’est écrasé en ULM pour sombrer encore plus vite dans le grand vide de l’absurde et rapidement en finir avec tout ça. 

Les comiques du petit rectangle

Ça cherche la faute dans la surface de réparation comme les politiques de droite cherchent la nouvelle polémique sur le voile. À une époque pas si lointaine, certaines brutes ne se faisaient pas prier pour découper en deux les auteurs de simulation. Mais depuis que les grosses structures ont voulu purifier les terrains et faire du foot un sport télégénique pour toutes les familles, c’est l’autoroute de la comédie pour les pleurnicheurs comme Sterling ou Immobile. Une poussette de l’auriculaire, ça tombe comme une massue, ça pleurniche, puis ça guérit miraculeusement et se relève fou de joie si un penalty est sifflé ou que l’action se termine sur un but. Cela dit, même si j’ai envie qu’on fasse revenir les défenseurs-bouchers qui ne laisseraient jamais passer ça, je dois aussi avouer que cette mauvaise foi m’amuse parfois.

Le manque d’originalité de l’excuse de Marko Arnautović 

Le 13 juin, Marko Arnautović marque le dernier but autrichien, celui du 3-1, et célèbre son but en hurlant comme un goret sur Ezgjan Alioski. Arnautović aurait insulté en serbe Alioski, un Albanais de Macédoine du Nord : « J'ai baisé ta mère, l'Albanais » ou « J'ai baisé ta mère l'Albanaise », selon les différentes sources. Mais le vrai problème, c’est que Marko s’est défendu. Comment ? Comme un teubé : « J’ai des amis dans presque tous les pays et je me bats pour la diversité. » Des millénaires d’oppressions et des décennies de luttes antiracistes pour en arriver là… Quel manque de créativité ! Le plus cocasse dans l’histoire, c'est que « Arnautović » fait référence à « Arnautes », terme employé à l’époque ottomane pour désigner les Albanais (J’ai entendu ça au bar et j’ai vérifié vite fait sur Wikipedia). Un génie, ce Marko.

L’absence de ce genre de génies

Reste que, on aura beau traiter Arnautović de débile, les footballeurs comme lui qui épicent un peu ce sport devenu aseptisé n’existent plus trop. Ils sont tous devenus trop lisses. Des culs de bébés professionnels. Il y a quelques temps encore, Mario Balotelli expliquait avoir lancé des fléchettes sur des jeunes du centre de formation de Manchester City parce qu’il s’ennuyait, Mario Balotelli postait un message antiraciste-mais-un-peu-antisémite-quand-même, Mario Balotelli faisait n’importe quoi de manière générale et Lord Nicklas Bendtner faisait plus ou moins pareil mais en moins bien. Rendez-nous nos abrutis préférés !

Les Footix

Depuis le début de la pandémie, j’ai beaucoup souffert du fait d’être privé de stade ou de matches au bar. Mais personne ne m’avait préparé à devoir retrouver IRL des gens qui beuglent « Y’A PAS FAUTE PUTAIN » quand l’adversaire tombe, mais qui aboient « MAIS Y’A FAUTE PUTAIN DE MERDE L’ARBITRE SALE ENCULÉ ! » avec la voix de DMX quand un joueur de leur équipe tombe (seul). Personne ne m’avait rappelé que ça allait être moralement difficile de devoir expliquer à des gens qu’un joueur qui marque contre son camp n’est pas forcément éclaté et que c’est pas parce qu’un attaquant ne marque pas qu’il est pourri – les joueurs ne sont d’ailleurs jamais intrinsèquement mauvais, mais ce sont bien les choix tactiques qui peuvent l’être. J’avais aussi oublié les éclairs de génie du style « Il faut marquer, comme ça on a la confiance. » Je vous déteste. Mais quelque part, je vous aime aussi, parce que je suis un peu des vôtres.

La malédiction Ramsey qui a encore frappé

Le 19 juin, Philousports s’éteint alors que la France vient de jouer son deuxième match de la compétition. La twittosphère qui suivait l’actu du sport à travers son compte est en deuil. À cause de sa trachéotomie, Philippe Vignolo s’exprimait exclusivement à travers des tweets et des gifs qu’il dégainait en deux-deux.

La crise cardiaque de Philou est survenue deux jours après le but d’Aaron Ramsey contre la Turquie. La malédiction Ramsey, c’est un truc qui a fait plus de victimes en dix ans qu’Arsenal n’a gagné de titres. Pour rappel, depuis 2011, il arrive souvent que quand Ramsey marque – et c’est pas un gros buteur –, une personnalité chère à tous les cœurs tendres de ce monde trouve la mort dans les jours qui suivent. Par exemple, Oussama Ben Laden est mort le lendemain d’un but de Ramsey. Pareil pour Mac Miller, Mouammar Kadhafi, Robin Williams, David Bowie ou George H. W. Bush. Pour le président de la Zambie Kenneth Kaunda, Luke Perry de Beverly Hills ou Philou donc, c’est deux jours après. Repose en paix !

La règle des « meilleurs troisièmes »

Le 15 juin 2008, la Turquie venait à bout de la République Tchèque en plantant trois pions en fin de match après avoir été menée 0-2 à un quart d’heure de la fin. Rien de plus qu’un simple dernier match de groupe entre deux équipes qui se disputaient la deuxième place. 

Cette année, on annonçait le Groupe F comme celui de la mort. Qui du Portugal, de la France ou de l’Allemagne allait s’en sortir ? Bah, tous. Portugal – France était la grosse affiche de la troisième journée de phase de groupe, mais grâce à la règle de repêchage des quatre meilleurs troisièmes, ils étaient déjà qualifiés avant de jouer ce match. Au final, la règle des « meilleurs troisièmes », ça veut dire 16 des 24 équipes qualifiées pour le second tour, soit la majorité. C’est fade. Le suspense de la dernière journée de poule disparaît à tout jamais dans le caveau du feu foot-suspense. 

Le malaise cardiaque d’Eriksen

Heureusement, le Danois s’en sort bien. 

Le ballon officiel

Le ballon Adidas Fevernova en 2002, c’était une pure merveille, du genre à vous ôter toute envie de taper dedans tant il est joli. Pour l’EURO 2020, Adidas nous a pondu une merde visuelle infâme en ressuscitant le style Tecktonik pour l’appliquer sur du cuir. Le ballon Adidas Uniforia, c’est des associations de couleurs dégueulasses couplées à des traces très grasses d’on-ne-sait-quoi, le tout dans une structure géométrique confuse. Le pire du pire, c’est que des équipes de comm’ ont trouvé un propos politique à cette immondice : « Le ballon de football Uniforia ne connaît pas de frontières. Il symbolise l'unité. Les détails rendent hommage aux pays hôtes. » On se croirait à un vernissage.

11 pays et aucun esprit

Niveau orga, on passe juste d’un stade vide à un stade rempli, ou inversement, et ainsi de suite. 11 stades, aucun ancrage, aucune conscience géographique, aucun esprit. Certaines équipes ont joué à domicile, d'autres pas. D’ailleurs, les quatre équipes qualifiées pour les demies ont toutes joué à domicile. Et pour l’aspect écologique du truc, on repassera évidemment. Après, y’en a d’autres qui ont eu de quoi se plaindre encore plus de cette idée saugrenue

Le ciblage dégueulasse des sites de paris en ligne

Toujours plus loin dans la gerbe : qu’est-ce qui est pire entre le marketing et les influencers ? Exact : une fusion des deux. Le « tout pour la daronne » ciblant les jeunes de banlieue ou les Youtubers-serpillères qui font la promo des sites de paris en ligne, tout le monde semble avoir compris qu’il suffisait de dérouler le tapis rouge à des gens sur qui on crache habituellement pour leur tirer un max de thunes. Et tout ça grâce à l’illusion et la métaphore de l'ascenseur social. N’oubliez jamais que l’univers des paris sportifs n’existerait pas s’il vous faisait vraiment gagner. 

L’absence de Zlatan Ibrahimović 

Blessé au genou gauche, l’attaquant de 39 ans (!) a manqué ce qui était sans doute sa dernière chance de participer à une compétition internationale. 

Tiens, en parlant de genou…

Déjà fragilisée par le fait qu'un rappeur qui a gagné son procès contre Zemmour et déclaré un certain désamour pour Marine Le Pen puisse chanter un truc sur les Bleus, la droite et l’extrême droite en France se sont surexcitées niveau polémique pour cet EURO ; surtout au moment où il a fallu parler du genou à terre. Par-ci par-là, dans les coins sombres, on a pu lire ou entendre qu’il ne fallait « absolument pas mélanger sport et politique ».

Mais ça fait longtemps que le foot est plus qu’un jeu, que tout y est politique, des structures de pouvoirs aux sponsors en passant par les choix des stades de cet EURO. Le foot est davantage un outil politique qu’un sport. Et le combat contre le racisme et les racistes dépasse le simple enjeu politique… Vous l’entendez ce vide ? C’est celui de la gorge caverneuse des gens qui jactaient pour un genou « trop politique » et qu’on n’entend pas – évidemment – quand il est question de cris de singe quand un joueur noir de l’équipe de France touche la balle contre la Hongrie ou d'insultes racistes sur internet envers les Anglais qui ont raté leur péno.

Si le foot ne peut plus représenter les fractures sociales d'une société qui l’alimente, qu'il crève. 

Tiens, en parlant de sans-cervelle…

Bien sûr, le débat peut vite partir dans tous les sens. Surtout quand les réflexes racistes se répètent à plusieurs échelles, pour le plus grand bonheur des racistes de base. Lors de l’EURO, une vidéo datant probablement de 2019 a fuité. Elle montre Ousmane Dembélé se moquer de la langue japonaise et des « sales gueules » des techniciens japonais venus leur installer un jeu vidéo ; tout ça sous les rires complices d’Antoine Griezmann, lequel avait déjà été surpris il y a quelques années en train « d’imiter » « l’accent japonais ». En gros, c’est la manifestation la plus basique du racisme décomplexé et du mépris de classe, de la part de deux personnes incapables de brancher des câbles, ni ceux de leur console ni ceux entre leurs six neurones. Je souhaite bien évidemment un tacle à la gorge aux deux footballeurs pour avoir alimenté le racisme, en plus d’inspirer les comportements banalisés de demain. Mais on doit aussi souligner à quel point ce genre d’affaires est du pain béni pour les rascars primaires. Beaucoup d’esprits conservateurs sont effectivement très réactifs quand il s’agit d’instrumentaliser le racisme anti-asiatique – uniquement lorsqu’il est appliqué par d’autres minorités – pour défoncer la légitimité des luttes antiracistes qu’ils détestent voir exister (au hasard : BLM). 

Toujours au rayon sans cervelle, l’UEFA évidemment. En réaction à une loi homophobe votée en Hongrie, la ville de Munich voulait accueillir le match Allemagne – Hongrie en illuminant son stade aux couleurs de l'arc-en-ciel. L'action symbolique a été rejetée par l'UEFA, qui a dit vouloir rester « neutre ». 

Bon, malgré tout ça, vive le foot ! Et rendez-vous au Qatar en 2022, sur les cadavres encore chauds des ouvriers. Ça va être sublime, c’est promis.

PS: Y'a eu des trucs bien aussi

Le but stratosphérique de Patrick Schick, Denzel Dumfries, la journée du 28 juin (les huitièmes de finale Croatie – Espagne à 18 heures, suivi de France – Suisse à 21 ; une folie), la Suisse donc, le maillot extérieur de la Belgique, Bukayo Saka, Jack Grealish, l’équipe italienne au complet et les buts dans le temps additionnel (classique).

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<![CDATA[Côtes cassées et tôle froissée : exister à travers les courses de Bangers]]>https://www.vice.com/fr/article/5dpenk/courses-de-bangers-speedway-warenton-julien-henryThu, 25 Feb 2021 11:55:38 GMTÀ Warneton, un bled coincé entre la Wallonie, la Flandre et la France, se dresse un temple à la gloire de la bagnole. Dans le rugissement des moteurs et les vapeurs de gazoles, on y honore les derniers tours de pistes de carcasses repeintes et retapées. C’est le Speedway et ses courses de Bangers. Un univers de pneus brûlés et de tôles pliées dans lequel se retrouve une communauté pour qui le circuit est le centre du monde. On y dispute son honneur, on y règle ses comptes, on y célèbre les étapes de la vie, on s’y réunit. 

C’est dans cet univers de suie et de mécanique qu’a plongé le réalisateur et photographe belge Julien Henry (41 ans). Après avoir passé plusieurs années à proximité du circuit, il en ressort des photos saisissantes ainsi qu’un court-métrage de fiction, Lynx, à voir prochainement. 

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VICE : Salut Julien. Qui sont ces gens que tu as photographiés ?
Julien : Ce sont des gens passionnés de bagnoles. Enfin, passionnés de destruction de bagnoles surtout. La plupart sont mécanicien·nes, carrossier·es, chauffeur·es de poids lourds, dépanneur·ses, ferrailleur·ses. Iels font ce qu’on appelle des courses de Bangers. C’est une discipline anglaise à la base, mais ici ça se passe à Warneton, une enclave wallonne en Flandre, collée au Nord-Pas-de-Calais. C’est hyper particulier ; ça parle ch’ti, flamand et français. Le langage commun, c’est la mécanique et le fait de se crasher. 

« Jamais tu ne penserais que cette carcasse roule encore, mais si. C’est ouf. »

Les courses de Bangers, ça consiste en quoi ?
Ce sont des courses avec des voitures destinées à la casse, mais qu’iels récupèrent, retapent, repeignent et envoient sur le circuit. Le but, c’est soit de faire le plus de tours possibles sans se faire défoncer, soit de faire les plus beaux crashs en fonçant dans une autre voiture et en l’amenant dans le mur. Tout ça entre 80 et 110 km/h. 

T’as plusieurs catégories et récompenses : la plus belle voiture, celle qui écrase la plus belle voiture, celle qui va le plus vite, celle qui fait le plus de spectacle, celle qui fait le plus beau crash, etc. Le matin, ça commence par une présentation des voitures où tout le monde est debout sur sa bagnole. Ensuite, ça se déroule sur trois manches avec environ deux heures entre les manches durant lesquelles les participant·es peuvent essayer de retaper leur voiture. T’as des voitures qui se font complètement écraser contre le mur durant la première manche, elles ne ressemblent plus à rien. Et là, très rapidement, iels tirent la bagnole avec des chaînes et des camions pour essayer de la redresser, ouvrent le moteur, le démontent, le remontent, tentent tant bien que mal de remettre la voiture en route et la renvoient sur le Speedway. Jamais tu ne penserais que cette carcasse roule encore, mais si. C’est ouf. Même si la voiture tourne un seul tour, tant qu’elle roule, c’est bon, c’est ce qui compte.

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Elles viennent d’où ces voitures ?
Ce sont principalement des bagnoles récupérées via des petites annonces sur lesquelles les membres de la communauté se taguent mutuellement. Iels passent énormément de temps à retaper leur voiture pour qu’elle soit peut-être complètement écrasée au bout de 500 mètres. C’est vraiment le chant du cygne de la bagnole. Je trouve ça assez intéressant ce rapport à la fin de vie d’une voiture, cette idée de donner à un véhicule voué à la casse, un dernier tour de piste.

Ce circuit à Warneton, ça fait combien de temps qu’il existe ?  Il a été créé uniquement pour les courses de Bangers ?
En Belgique, ces circuits sont apparus dans les années 1970. Il y en avait trois à l’époque, mais il ne reste que celui-là aujourd’hui. Il n’y pas que des courses de Bangers dessus ; il y a plusieurs autres types de compétitions qui ont lieu, notamment des courses pures et dures. Mais bon, très vite, les orgas se sont rendu compte que ce que les gens venaient voir, c’étaient les crashs. 

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Avec tous ces crashs délibérés, y’a aussi parfois des blessé·es ? 
Iels sont très à cheval sur la sécurité, bien que durant la course, tout ou presque soit permis. Il n’y a jamais eu de mort sur le circuit, mais des blessé·es, oui, il y en a à la pelle. Ça va de la coupure au déplacement de vertèbres, décollement du poumon, ou fracture des bras et des jambes.

« Il faut clairement débrancher son cerveau. Si tu réfléchis, tu n’entres pas dans quelqu’un à plus de 100km/h, c’est pas possible. »

D’où vient ce désir de se mettre en danger selon toi ?
Iels te diront que c’est pour l’adrénaline, que c’est pour se sentir vivre. Iels n’ont pas peur, mais il y a une vraie appréhension avant d’entrer sur la piste. Quand iels commencent à rouler, iels disent clairement débrancher leur cerveau. Si tu réfléchis, tu n’entres pas dans quelqu’un à plus de 100km/h, c’est pas possible. Après, ce qu’il y a derrière, de façon plus crue, c’est que ce ne sont pas des gens qui ont une vie nécessairement facile. C’est une région avec un taux de chômage important, des champs de monoculture à perte de vue et pas grand-chose à faire. Ces courses, c’est aussi un moyen d’expulser des colères. Il y a des gens qui se vident sur le Speedway. D’ailleurs, autour du Speedway, jamais de bagarre, jamais. Tout se règle dans la course. 

Pour te donner un exemple, j’ai vu un type qui s’était fait voler sa bagnole par un autre dans son garage et bien qu’il sache que c’était lui, il n’a pas levé le ton ; il a voulu régler ses comptes sur le circuit. C’est comme ça que ça se passe. Ces courses, c’est vraiment un exutoire. C’est même plus que ça, c’est une véritable passion, une façon d’exister. Ça te donne l’occasion de faire partie de quelque chose, d’être la personne qui brille. Si tu fais de beaux crashs, tu es reconnu·e, tu deviens le ou la boss du circuit. T’as une foule de 6 000 personnes qui t’applaudit. Il y a quelque chose de l’ordre de la fierté et de la reconnaissance. Parce que le butin est symbolique : tout ce qu’iels gagnent, c’est une coupe en plastique.

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À regarder tes images, on a l 'impression qu’il y a quelque chose de presque rituel dans tout ça.
Exactement. Ces courses, le circuit, c’est vraiment leur église. C’est là que les enfants apprennent à rouler, qu’iels découvrent la mécanique et vivent leurs premières histoires. Et puis il y a de vrais rites de passage. Il y a des baptêmes qui se font sur le circuit, avec des tours de voiture où on processione le bébé, et puis des mariages aussi. Quand quelqu’un tombe malade ou décède, ce n’est pas rare qu’iels fassent une cagnotte. J’ai rarement vu des gens aussi solidaires, il y a une vraie notion de famille.

« La première fois que je me suis retrouvé à une course, je me suis pris une claque dans la gueule, un choc physique. Je me disais que les gens allaient crever là. »

T’en as fait une série photo et tu sors aussi un court-métrage, Lynx. Pourquoi cet univers des Bangers te touche autant ?  
La première fois que je me suis retrouvé à une course, je me suis pris une claque dans la gueule, un choc physique. Je me disais que les gens allaient crever là. C’est très impressionnant. Quand je suis revenu chez moi, avec une odeur de gaz d’échappement sur la peau, je me suis dit : « J’y retourne. » Au début, je voulais faire un documentaire et finalement j’ai préféré en faire un court-métrage de fiction. Là, je développe un long-métrage. Le circuit sert à chaque fois de décor mais je m’appuie sur les personnes que je rencontre pour développer des histoires. C’est une source d’inspiration hyper forte pour moi. C’est aussi pour ça que je ne veux pas qu’on devienne trop proches, pour continuer à pouvoir les fantasmer. Quand iels me racontent des trucs, iels peuvent les exagérer, ou alors c’est moi qui me les exagère, je ne sais pas. 

Pour le court-métrage, j’ai été chez un type pour lui demander de jouer dans le film.  Je lui parle du projet, du fait qu’il y a des flingues dans le scénario et là il me dit : « Ah, il te faut des flingues, attends… », et il me sort un 9 mm, une kalach’ et un riot gun. Tout ça devant son gosse de 10 ans. C’est un autre monde. C’est le Texas belge, sauce Wallifornia.

Pour être au courant des prochaines projections de Lynx, vous pouvez retrouver toutes les infos sur les comptes Instagram et Facebook.

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